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Les Mages sont les impresarii des Nativités. Ils en renouvellent intarissablement le décor, sans que l’orthodoxie en puisse être blessée. Comme ce sont des Rois, on peut déployer toutes sortes de velours, de brocarts, d’orfèvreries, de joyaux. Comme ils offrent des présens à l’Enfant Jésus, on peut faire miroiter, à leurs doigts, un ciboire, un gobelet ou une monstrance, maniés avec le geste d’un antiquaire qui veut tenter l’acheteur. Et voici de l’ouvrage pour le peintre de natures mortes. Comme ils viennent des pays « estranges, » aucun accessoire bizarre n’est interdit. Outre les chameaux qu’on voit déjà sur les sarcophages des premiers siècles et qui, d’ailleurs, sont orthodoxes, car ils servent aux Pères de l’Eglise à expliquer la rapidité de leur venue, les Mages peuvent amener des girafes, des perroquets et des singes de toutes les espèces, en croupe de leurs chevaux, au risque d’étonner un peu l’âne et le bœuf par l’invasion d’hôtes aussi singuliers. Surtout, ils peuvent se montrer eux-mêmes, c’est-à-dire des races qui jusque-là n’avaient guère trouvé d’accès dans le grand art. La beauté de l’Ethiopien ou de l’Arabe aurait peut-être été proscrite jusqu’à notre époque des tableaux de maîtres, si avant nos Guillaumet et nos Henri Regnault, une heureuse étoile ne les avait conduits vers la crèche et si le Christ enfant n’avait ouvert ses petits bras non seulement aux représentans de la beauté classique, mais à ceux de toutes les beautés.

Enfin, comme ce sont des païens, il est admis qu’avec eux entrent dans le tableau religieux des fantaisies, et, sinon des vices, du moins des licences qu’on n’eût pas tolérées autre part. Sur ce dernier point, la tradition est un peu flottante. Au début, il semble entendu que les Mages sont déjà des saints, mais plus tard on abandonne cette hypothèse. Ils seront peut-être des saints quand saint Thomas les aura baptisés et qu’ils s’en iront à Cologne, mais au moment de l’Adoration, ils sont des païens sans plus et délibérément on les traite en Orientaux, Turcs, nègres, figurans des Mille et une Nuits. Les gens du XVe siècle les regardent défiler un peu dans le même esprit que, de nos jours, on regarde le Chah de Perse. On leur passe tous leurs enfantillages et leurs excentricités, parce qu’ils viennent de loin, qu’ils apportent de beaux présens, — et qu’ils s’en iront bientôt.

Toute licence de costume et d’équipage leur est permise, et les peintres s’en donnent à cœur joie. Tant qu’on manqua de données sur ces costumes cette licence ne servit guère. Qu’est-ce