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toujours au cycle des sentimens maternels : joie avec certains, tendresse inquiète avec d’autres, avec Burne-Jones, par exemple, où la Vierge presse l’Enfant sur son cœur et semble vouloir le protéger et le soustraire à l’inconnu menaçant que signifient les anges avec leurs singuliers présens. À mesure que le rôle de son Enfant diminue, le geste et l’expression de la mère grandissent. Il ne lui suffit plus d’adorer : il faut qu’elle protège. Ce fut d’abord le duo de la grâce et de l’adoration, puis d’un règne puéril que l’adoration accompagnait encore. Ensuite le duo de la faiblesse de l’Enfant-Dieu qui n’est plus qu’un Dauphin et du triomphe de la mère qui est devenue une Reine. Enfin le duo plus humain, mais non moins divin par tout ce qu’il contient de mystérieux, de la faiblesse de l’Enfant qui sauvera le monde et de la protection d’une femme faible que soutient sa foi.

Elle est seule pour ce rôle, au témoignage des peintres. Troisième personnage du groupe divin d’après les Évangiles et surtout la légende, saint Joseph n’apparaît que bien loin derrière eux selon l’esthétique des Noëls. « Pensez-vous que son père soit ce pauvre vieux vénérable qui est sur la selle ? » dit un Noël des Vosges, et les peintres ne l’ont pas mieux traité que l’auteur de la chanson. Le premier plan ne lui est jamais dévolu, et même au dernier, l’âne, le bœuf, les moutons, les chameaux, les lévriers et jusqu’aux singes lui disputent la place. Dans les simples Nativités, il est sur le même plan que la Vierge : il est à genoux et il prie. Mais dès qu’arrivent les bergers, il n’a plus de rôle bien défini. Il s’essaie à toutes sortes de poses méditatives, embarrassées, le front appuyé sur sa main ouverte, un peu dans le fléchissement que Raphaël donne à son philosophe dans l’École d’Athènes, ou Michel-Ange à son prophète sur le plafond de la Sixtine. Chez Piero della Francesca, il s’est assis philosophiquement sur le bât de l’âne, a croisé les jambes, enchâsse ses genoux de ses mains et attend que les anges aient fini de chanter. Le maître de la Mort de Marie le réduit au rôle d’un pèlerin en visite, avec sa canne et son chapeau. Il a l’air d’un quatrième roi mage, un peu pauvre. Chez Gentile da Fabriano, il ne sait quelle contenance prendre, ni au juste qui regarder : alors il regarde les présens des Rois Mages et semble en supputer la valeur. Chez Fra Angelico, seulement, on voit un des Rois l’aborder et, lui serrant les mains avec effusion, lui offrir ses félicitations. Martin Schongauer et Durer l’embarrassent d’une