Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exhaussé sur les genoux de sa Mère, le peintre pense pouvoir occuper son premier plan de figures diverses sans pour cela masquer l’Enfant, d’autant qu’il peint ces figures agenouillées. De plus, cette disposition permettra de montrer des raccourcis savans et pittoresques et de varier à l’infini les attitudes d’abord réduites à des profils. Les avantages de cette disposition frappent tous les artistes tour à tour. Insensiblement, la figure de l’Enfant Jésus s’élève dans le cadre, c’est-à-dire s’éloigne. Avec Luis de Vargas, elle n’occupe plus que le second plan ; avec Botticelli, elle recule au troisième ; avec Filippino Lippi, elle s’enfonce au fond du tableau et quand arrivent Rubens ou Véronèse, elle n’apparaît même plus comme le centre plastique du tableau mais est logée dans un coin, tandis que tout le premier plan s’embarrasse du brocart des manteaux des Mages ou des croupes envahissantes des chevaux, de l’âne et du bœuf.

Mais il était réservé à notre temps de diminuer sa place encore. Regardez une Nativité contemporaine. Chez Flandrin, à Saint-Germain-des-Prés, on ne voit plus que la tête de l’Enfant Jésus, tout son corps étant de nouveau emmailloté comme sur les chaires de Jean de Pise ou sur les sarcophages du Latran. Avec ses derniers interprètes, il s’éloigne encore. Si l’on rapproche la Nativité de Piero della Francesca de celle de M. Lerolle ou l’Adoration des Mages du Pérugin de celle de M. de Uhde, on mesurera, d’un coup d’œil, le chemin parcouru par l’Enfant-Dieu. Etape par étape, il s’est enfoncé dans le mystère des arrière-plans. Les yeux se tournent toujours vers lui, mais ils l’aperçoivent mal, plutôt comme une apparition que comme une réalité et comme une espérance que comme un fait accompli. Ce n’est plus là le corps bien défini, modelé comme une argile ou un marbre, dont on pouvait faire le tour, dont on apercevait les fossettes, et que le respect seul empêchait de toucher. Ce n’est plus qu’une vision, un mirage, qu’on craint de dissiper en l’approchant. Les hommes du XVe siècle ne reconnaîtraient plus le bel ordre qu’ils ont aimé : « Vous avez emporté mon Seigneur et je ne sais où vous l’avez mis ! »

Naturellement, à une telle distance, on voit si peu l’Enfant-Dieu, qu’on ne voit plus du tout ses gestes. D’ailleurs, il y a longtemps qu’il n’en fait plus et qu’il est revenu à l’immobilité qu’il avait aux premiers âges du Christianisme, lorsqu’il reposait dans la crèche, pannis involutus, et que le ciseau novice