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l’ordonnance des autres est tout de suite fixée. Elle doit être semi-circulaire et l’Enfant se trouver au premier plan. Chez les primitifs : il y est seul, à terre, posé sur une botte de paille ou sur des langes, séparé de toutes les autres figures par un vide assez grand pour que rien de ses petits gestes ne soit perdu, de sa physionomie ne soit oublié, ni de sa divinité méconnu.

Tel est le grand charme esthétique du Christianisme, celui qu’on ne trouve ni dans les philosophies ni dans les autres religions. Chez lui, Dieu commence par être un enfant avant de devenir un homme, et les villageoises des environs viennent admirer le bébé avant que les femmes de Jérusalem et de Magdala suivent le philosophe. En lui, les aspects sévères de la divinité sont voilés, et cependant le peu qu’il y a de divin en la nature humaine est visible. Il ne repose pas sur des nuages, mais sur des langes. Il ne serre pas de tonnerre dans ses menottes, mais des brins de paille. Sans doute, on a vu d’autres religions offrir à l’Art une figure d’enfant. Mais cet enfant n’était pas encore un dieu, comme Jupiter enfant ou Dionysos ou Bodhisattva, ou bien ce n’était que le symbole d’une pure abstraction, comme Eros enfant, ou d’un rapport filial occulte, comme Horus, ou d’un être encore ignorant de sa destinée, comme Krishna. Elles n’offraient pas, à l’artiste, le Dieu unique et universel sous la plus belle, mais la plus naïve des apparences humaines. Aussi de toutes ces nativités antiques du Bouddha, de Dionysos, de Zeus, d’Horus, l’art ne nous a pas laissé de chef-d’œuvre. Vainement, à grand renfort d’érudition, va-t-on démêler quelque pseudo-nativité du Bouddha sur les bas-reliefs de Gandhara ou Peschawar. Bons pour l’histoire des Religions, ces monumens sont incertains et médiocres au regard de l’esthétique. Et si, çà et là, autour des urnes de marbre de Naples, on voit des Liknites célébrer en dansant le petit Dionysos nouveau-né qu’ils secouent dans leur corbeille, ces ancêtres des bergers du Spagna témoignent trop peu qu’il s’agisse d’un frêle enfant et pas du tout qu’il s’agisse d’un Dieu.

Ici, au contraire, c’est d’abord un Enfant qu’on adore, un dolce mamonello, un bellissimo e délicate garzone, et c’est en j même temps le Tout-Puissant, l’Eternel. Aussi la première place lui est-elle donnée dans toutes les Nativités proprement dites, ou les Adorations des bergers. Mais dès les premières adorations des Mages, comme on admet que l’Enfant Jésus est