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à entrer dans la commission de l’armée. Nous en dirons autant de M. Audiffred pour la commission de prévoyance sociale, et nous pourrions citer beaucoup d’autres exemples encore de cette fureur d’ostracisme qui s’est déchaînée contre tous ceux qui ne pensaient pas suivant la formule officielle. A peine quelques-uns ont-ils pu échapper à cette espèce de déluge universel : M. Paul Deschanel, qui a réussi à entrer dans la commission des Affaires étrangères. M. Poincaré et M. Georges Berger, M. de Kerjégu, M. de Montebello, qui ont trouvé place dans celle de l’enseignement, mais ce sont de très rares exceptions. Quand on lit les noms des élus, on est surpris et inquiet de n’y voir presque aucun de ceux qui ont marqué dans les Chambres précédentes, et qui y faisaient autorité. Ainsi, le double caractère de ces grandes commissions, qui tendent à accaparer le gouvernement et à l’exercer d’une manière directe ou indirecte, mais effective, est l’exclusion de la minorité et l’élimination des compétences. Nous allons être bien gouvernés !

M. Jaurès, qui se réjouit de cette victoire de la majorité ministérielle, non toutefois sans quelque embarras de la voir si complète, en conclut que « l’ère des responsabilités » s’ouvre pour le parti républicain tel qu’il le conçoit, c’est-à-dire avec l’indispensable appoint du groupe socialiste, destiné à le conduire et à le dominer. M. Jaurès dit vrai. On ne voit plus nulle part aujourd’hui un frein capable de modérer ou de ralentir le mouvement qui nous emporte. Une majorité intolérante, animée de passions violemment jacobines, est maîtresse de tout. Elle a voulu le pouvoir absolu, elle l’a ; mais elle a avec lui les responsabilités qui y sont attachées. Nous allons la voir à l’œuvre ; le pays la jugera ensuite.


La proximité des élections partielles du Sénat oblige les Chambres à se séparer sans avoir eu le temps de discuter le traité franco-siamois dont nous avons dit quelques mots il y a six semaines, mais sur lequel nous avons et nous aurons encore à revenir. M. Le Myre de Vilers en a d’ailleurs parlé dans la Revue avec une compétence indiscutable, mais à un point de vue particulier. Il en a surtout montré les défauts et les lacunes, et assurément le traité en a ; nous croyons même qu’il serait impossible d’en faire un qui n’en eût pas, à moins de le faire précéder par une guerre avec le Siam. Cette guerre serait victorieuse, et elle ne nous coûterait pas un immense effort. Si quelqu’un la proposait, nous en discuterions les avantages et les inconvéniens ; mais personne ne la propose, et tout le monde même se défend d’y songer.