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Elle m’offre une place de domestique à quatorze dollars (soixante-dix francs) par mois. Affectant les manières qui conviennent à mon déguisement, je réponds que j’ai été en place, mais que je veux avancer dans le monde et devenir employée de fabrique.

— Vous êtes comme les autres, me répond-elle. Impossible d’avoir des domestiques à Pittsburg. Les jeunes filles ne veulent pas servir ; les ateliers les prennent toutes.

En suivant ses conseils, je découvre une pension où, moyennant trois dollars par semaine, on me donnera logement et nourriture. Les hôtes de cette maison sont des ouvrières du dernier ordre et des enfans confiés par l’insouciance des parens aux soins d’une mère d’occasion. Le problème de trouver un emploi me semblait d’avance effrayant, mais, dans une ville comme Pittsburg, il est vite résolu. En y cherchant de l’amusement on se ferait remarquer : y demander du travail est chose commune et naturelle. Le surveillant général de la fabrique de conserves à laquelle je m’adresse d’abord accepte très simplement le conte que je lui fais. Il a déjà cinq cents femmes sous ses ordres ; il en veut davantage, et il m’engage à venir le lendemain matin, dès six heures quarante-cinq.

— Mais, ajoute-t-il, comme vous n’êtes qu’une commençante, nous ne vous donnerons pas plus de soixante ou soixante-dix cents (sous) par jour. Cela vous paraît peut-être insuffisant ?

— Vous m’augmenterez avec le temps, n’est-ce pas ? répondis-je.

— Certainement, il y a de la place en haut de l’échelle ; nous ne cherchons que des ouvrières habiles ; elles auraient de quoi faire ! Venez demain et tâchez de ne pas vous décourager le premier jour.

Levée à cinq heures, je fais dans l’obscurité le genre de toilette dont un mot, que m’adressa la veille au soir la matrone préposée à l’établissement, donnera l’idée :

— Si vous tenez à vous débarbouiller, que ce soit en vous couchant ; vous n’avez pas d’eau dans votre chambre et personne ne sera levé quand vous partirez le matin.

Dehors, les rues sont silencieuses et couvertes de neige. Un tram passe de temps à autre, des groupes d’hommes et de femmes courent de-ci de-là, dans l’air glacial, en agitant les bras et se frottant les oreilles. Chacun d’eux porte un paquet enveloppé de