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petits oiseaux voletaient au-dessus des têtes, comme s’ils voulaient donner la conduite au Seigneur à travers la campagne. Une femme criait d’un ton lamentable : « Mon Jésus s’en va, cela est impossible ; justement mon enfant est malade, mon enfant se meurt. » D’autres se voyaient séparés pour jamais de leurs morts chéris qu’ils ne rejoindraient plus dans le ciel. » Mais la sentence s’accomplit malgré tout : un long fil de chanvre est tendu autour des limites de la commune, on y met le feu, et ce mince cordon de cendres séparera désormais Trawies de la communion des fidèles.

Oui, ce premier épisode est un des plus émouvans qui soient sortis de la plume de Rosegger ; là, tout est vraisemblable, profondément humain, fondé sur le jeu des passions les plus enracinées dans notre cœur. Le problème est posé de façon magistrale. Qu’advient-il lorsque, par l’orgueil des guides spirituels du peuple et par l’obstination grossière de la foule, leur religion est arrachée aux âmes simples ? Ce qu’il en arrive, c’est l’anarchie sociale d’abord, et de plus, à Trawies, l’aberration mentale qui va ramener ces chrétiens égarés au vieux culte des races sauvages, à l’adoration du feu. Resserrée en quelques chapitres aussi heureusement venus que les premiers, cette peinture agirait tout aussi puissamment sans doute sur nos facultés émotives. Par malheur, à notre avis du moins, on retrouve dans les deux longs développemens qui s’intitulent les Sans-Dieu et la Rédemption, tous les défauts qui sont ceux de Rosegger quand il prétend allonger de façon artificielle une matière qui ne comporte qu’un court exposé ; ou, tout simplement, lorsqu’il s’abandonne aux séductions de sa dangereuse facilité littéraire : digressions incessantes, anecdotes puériles, contradictions, répétitions, piétinement sur place ; le tout mêlé certainement de pages émouvantes et de détails exquis sur les conflits nés du besoin de croire et du désir de vivre sans frein. Mais qu’on lise, pour nous donner raison, l’épisode du jeune homme qui fait le mort afin d’échapper aux importunités des bandits que sont devenus les habitans de Trawies, et qui, sur le point de trahir sa vitalité par un éternuement intempestif, se voit sauvé par ses hôtes couvrant du bruit de leur métier à tisser l’incongruité du faux défunt. Ou encore les farces de ces deux maris malheureux, qui, n’osant châtier eux-mêmes les mégères dont ils sont les victimes, se rendent réciproquement ce service après s’être masqués