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seulement qui ne peut agir ici-bas pour l’honneur de Dieu vers la patrie céleste, où il sera reçu avec miséricorde. » Aberrations mystiques qui, moins odieuses en leur principe, rappellent toutefois celles de Philippe le Haïsseur. Wahnfred va jusqu’à soigner de ses mains le prêtre au cours d’une maladie épidémique qui a frappé ce dernier, tandis que tous ses serviteurs à gages l’ont abandonné par crainte de la contagion, car l’artisan veut encore espérer que l’oppresseur de ses frères s’amendera de lui-même, et l’instant décisif ne lui semble pas venu. Mais non ! malgré cette preuve sublime de dévouement donnée par l’un de ses paroissiens les plus endurcis durant cette crise redoutable, le Père François s’entête dans sa volonté inflexible de déraciner leurs erreurs. Ces rudes forestiers l’irritent par leur obstination : « Il lui semblait qu’il avait besoin de se venger sur quelqu’un pour la violence qui lui avait été faite lorsqu’on lui imposa les ordres sacrés. » Il faut donc voir en tout cela un conflit de passions humaines plus encore que des dissentimens dogmatiques. Wahnfred doit enfin se décider à agir, car son serment l’a lié sans recul possible : il prend alors la résolution de tuer le prêtre après sa messe, à l’instant où la conscience d’un ministre du culte doit être supposée pure. Pour plus de sûreté même, le menuisier fait demander au curé un Rorate destiné à obtenir une bonne mort à un anonyme. Quand le Père François aura chanté inconsciemment à sa propre intention cette prière expiatoire, Wahnfred plus rassuré l’enverra dans l’autre monde.

La scène de la messe suprême, en présence de la paroisse frémissante d’attente, d’angoisse, de remords peut-être, est grandiose et imposante. Il règne une foi profonde dans les esprits qui préparèrent un si odieux attentat. Voici les sentimens qui agitent cette assemblée tragique au moment de l’Elévation : « Tout orgueil, tout mépris, toute dureté semblaient envolés, toute attache terrestre dénouée chez le prêtre à l’heure où il s’inclinait dans la prière, dans l’humilité, devant celui dont il allait accomplir le sacrifice rédempteur. Lentement, il se redressa, et monta en pensée le chemin rocheux du Calvaire ; puis, il fléchit le genou, et d’une main frémissante, éleva bien haut l’hostie… En cet instant de silence solennel, chacun songe à ce qu’il a de plus cher ici-bas, un époux, un enfant, soi-même peut-être… Le célébrant souleva ensuite le calice ; un véritable prêtre sent alors dans les nerfs de sa main couler la source chaude ; qui