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Quoi qu’il en soit du temps présent, le Père François est bien du sien lorsqu’il parcourt, botté et éperonné, les forêts de son domaine sur les traces de quelque bête fauve traquée par sa meute bruyante, sans respecter trop scrupuleusement les semences de ses ouailles, ou les clôtures de leurs vergers. Et de telles peccadilles seraient peut-être absoutes si le conflit n’éclatait dans la paroisse pour un motif plus futile en apparence, et plus sérieux en réalité. Dès le début de son ministère, le prêtre s’est senti choqué par l’inspiration païenne et par les abus matériels qu’il devine dans la fête du feu des ancêtres. Il prétend l’interdire à tout prix, et, si ses intentions sont pures, ses procédés ne sont pas fort évangéliques, il faut l’avouer, puisqu’il va jusqu’à faire décharger sur les récalcitrans les mousquets de ses hommes d’armes. Ses efforts demeurent vains d’ailleurs, car, tandis qu’il s’efforce d’arracher en personne aux mains de Gallo Weissbucher le brandon que ce dernier emporte à la dérobée pour perpétuer, malgré tout, le feu éternel, le « gardien, » plutôt que de faillir à son office, met le feu à sa propre grange. L’incendie éclate, se communique même à quelques hectares de forêt ; et, de la sorte, chaque paysan peut rentrer chez lui ce jour-là avec un tison allumé au feu des ancêtres.

On conçoit que, porté à ce diapason, le différend ne puisse se vider par la tolérance réciproque. Il s’aigrit chaque jour au contraire, et les paysans de Trawies prennent enfin la résolution de supprimer l’ennemi juré de leurs vieilles coutumes dont les autorités ecclésiastiques refusent le changement à leurs supplications. Le prêtre mourra, et, dans une assemblée secrète, on tire au sort entre les plus décidés, afin de choisir celui qui exécutera la vengeance commune. Le hasard désigne le menuisier Wahnfred. C’est un exalté, nourri de la Bible, et qui ne rompra pas le serment prêté ; mais c’est un chrétien fervent qui s’effraye des conséquences spirituelles du meurtre pour le condamné, Aussi, et ce trait caractérise bien l’état d’âme de ces races profondément religieuses, sa préoccupation est-elle, dès lors, de ne pas frapper son ennemi en état de péché, afin de lui épargner les châtimens de l’au-delà. Aux yeux de ce scrupuleux, David lui-même fut coupable pour n’avoir pas pris soin du salut éternel de Goliath. « Que ses fautes soient effacées par sa mort violente, dit-il, en songeant au pasteur de Trawies, et qu’il entre dans la vie bienheureuse… Je suis sans haine et sans envie, je renvoie