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charnels que le christianisme s’est efforcé de régler[1]. « Dans beaucoup de communes styriennes, dit Rosegger[2], on fait, le samedi saint, au cimetière un amas de planches de cercueil pourries, et on les allume. Les chefs de famille cherchent alors à en transporter sur leur foyer domestique un tison, dont ils ne laisseront plus éteindre la flamme jusqu’à l’année suivante. Ils possèdent ainsi un feu sacré, qui préserve de l’éclair, de l’incendie, et autres fléaux. »

Enfin, nous aurons terminé l’énumération des élémens inconsciens dont s’est édifié le singulier monument du Gottsucher, si nous ajoutons au paysage frappant de Tragoess, et à l’obsession du feu, certaines réminiscences vagues des troubles politiques de 1848. Rosegger, en effet, nous a donné quelque part[3] les confidences intéressantes d’un ancien révolutionnaire, qui, émigré en Amérique, vers 1850, lors du triomphe définitif de l’ordre, revient, après trente ans d’absence, vers son village alpestre, où il ne trouve plus que des ruines. Il proclame amèrement alors la responsabilité qui lui incombe dans ce résultat néfaste des convulsions populaires : car, jadis, étudiant à la tête chaude, il a formé parmi ses compatriotes un parti de bûcherons, de valets de ferme, de petits propriétaires, qu’il ameuta contre les riches paysans. L’édifice social et les idées religieuses furent défendus en ce lieu par un prêtre, entier et orgueilleux peut-être, car il n’a pas su se faire aimer de ses ouailles, mais zélé cependant, courageux, fidèle à son devoir, et de cœur généreux dans le danger. La lutte éclata bientôt, acharnée, sanglante entre les deux partis, déchaînant l’émeute et l’anarchie. Bien que la possession des biens de ce monde fût surtout débattue, c’est au vocabulaire religieux qu’on emprunta des mots d’ordre en ce milieu chrétien par tradition : « Dieu n’existe pas, clamaient les assaillans de la Bastille sociale ; fou qui ne jouit dès cette heure. » Enfin l’incendie dévora les demeures séculaires de Dreiwalden, la fumée voilà les astres du ciel, tandis que la vieille communauté, grandie et cimentée par la foi de ses membres, s’écroulait pour une heure d’aveuglement et d’incrédulité.

  1. Ainsi fit plus récemment encore le Viennois Schoenherr dont le drame Sonntagswende a trouvé un succès retentissant. L’atmosphère en est tout à fait roseggerienne. On y retrouve la valeur symbolique des feux païens du solstice, la mère vivant de l’espoir du sacerdoce pour son fils, le séminariste hésitant, le curé conciliateur, l’étudiant révolutionnaire et son rôle finalement néfaste.
  2. Volksleben in Steiermark, p. 69.
  3. Hochenfeuer, le Village anéanti.