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bon moyen pour nous de sortir d’une impasse bête et ennuyeuse, On conte beaucoup d’histoires sur le nouveau gouverneur de la banque. Il est venu avec son bonnet de nuit (de coton sans doute), à la banque demander quand il pourrait s’installer. « Tout de suite, lui a-t-on répondu. Ah ! c’est-à-dire dès que vous aurez rempli la petite condition que vous savez. — Quelle condition ? — Une bagatelle, c’est de posséder cent actions de la banque. » Le nouveau gouverneur, qui ignorait cette clause du cahier des charges, a eu, dit-on, le nez allongé de plusieurs centimètres. Pour avoir cent actions de la banque, il faut d’abord quelque chose comme 350 000 francs et plusieurs semaines pour les acheter, et ce qu’il y a de plus désagréable, c’est que les appointemens ne courent que du jour du dépôt des susdites cent actions.

Il y a aussi une fort belle histoire d’une artiste des chœurs de l’Opéra, qui n’est pas jolie, mais très belle et qui joue un rôle de statue dans Nemea, laquelle a un amant de vingt-six ans, officier de marine, et qui a résisté à toutes les offres d’une personne très haut placée, qui, admirant sa vertu, lui a donné un collier de diamans.


Adieu, cher monsieur, encore mille remerciemens.


Dimanche soir, avril 1870.

Cher Monsieur,

Soyez le bien venu de ce côté de l’Atlantique. Si je ne vous ai pas écrit, c’est que je vous croyais en route, ainsi que votre dernière lettre de Rio Janeiro me l’annonçait.

Il y a si longtemps que je ne fréquente plus l’Académie que je ne puis pas vous donner un conseil, si ce n’est de suivre celui de M. de Rémusat. Autrefois c’était M. Guizot qui faisait les élections. Est-il pour vous ? Je crains que non, attendu qu’il est grand ami de Mme Lenormant[1], belle-mère de M. Loménie. Elle seule est un grand appui pour un candidat, car elle a beaucoup de relations avec les académiciens et sait les presser de la bonne façon. Cependant Loménie se présente-t-il ? Lorsque vous ferez vos visites il faut vous préparer contre une objection qu’on vous fera

  1. Cf. les lettres de Guizot à Mme Lenormant, sous le titre : Les années de retraite de M. Guizot. Paris, Hachette, 1902.