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n’a pensé à toi, pauvre femme, et tu t’en es pourtant tirée, avec le temps ; maintenant cela va te faire joliment de bien, le ciel. Allons, aide-toi seulement un peu pour monter. — Laisse-la donc, vieux Poelli, ce sera ton tour une autre fois. — Console-toi, la mère Ahen ; il est vrai que la nuit est longue ; je le sais bien. Les voilà qui pleurent encore terriblement aujourd’hui ! — O Seigneur, donne aux pauvres âmes le repos éternel. »

Sauf le rite sanguinaire imposé à Ulysse au début de son évocation, que d’analogies dans ces deux scènes ; et, par un trait qui apparaît aussi dans les développemens du poème homérique, alors que les héros défilent pour avouer leurs fautes et exhorter leur descendance, la bonne vieille Stanzel est une moraliste à sa manière. De l’expiation des morts, elle fait une leçon et un enseignement actuel pour les vivans. C’est ainsi que, dans le récit où Rosegger la met en scène, elle décide fort habilement au mariage un couple qui se disposait à se passer de la consécration des lois et de l’autel. — De la sorte, jusque dans ces superstitions naïves, persiste cet élément touchant de compassion, de bonté et de solidarité dans le sens social du mot, qui est l’une des vertus du catholicisme, ainsi que l’établissait magistralement jadis un des guides de la pensée contemporaine.

Ces vertus apparaîtront toutefois plus évidentes chez les originaux montagnards dont nous avons dit qu’ils puisaient leurs inspirations dans l’enseignement religieux, bien compris cette fois. Auprès de ceux-là, il n’y a guère qu’à admirer et à apprendre.

C’est un membre de cette famille morale que le vieux mendiant Wast[1], dont la dévotion est à ce point empreinte de tendresse et de mansuétude qu’il s’attarde aux Calvaires du chemin, afin de consoler la victime céleste, en murmurant à demi-voix : « C’est un moment pénible à passer, mon cher Jésus. Je comprends que tu ressentes de l’angoisse, car il est dur de mourir : mais prends patience, Notre-Seigneur Dieu a dû souffrir lui aussi. » Et il va jusqu’à réclamer, en faveur du Christ mourant, l’intercession de la Vierge sa mère, et même de l’ange gardien de Jésus. Ce mendiant-là ne vaut-il pas mieux que son collègue Hiesel[2], qui, lorsqu’on s’avise de lui refuser quelque part une aumône à son gré, demeure durant des heures sur le seuil à vouer d’une voix sépulcrale aux châtimens temporels et

  1. Waldvogel.
  2. Meine Ferien.