Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à une catastrophe : deux enfans naquirent, dont le second coûta la vie à sa mère (1875).

Le choc fut terrible pour l’organisation frêle et impressionnable de l’époux, et l’on crut quelque temps autour de lui qu’il ne résisterait pas à ce coup du destin. Il fut sauvé par le travail ; déjà lié à cette époque avec les écrivains et les artistes les plus aimés de son pays, Hamerling, Auzengrueber, Deffregger, assuré de leur concours, il se décida à créer une publication mensuelle, aux tendances saines et moralisatrices, le Heimgarten (Jardin du logis) dont il fut le rédacteur en chef, et qui a fêté récemment la vingt-cinquième année de sa fondation. C’est là, que parurent la plupart des nouvelles et esquisses qu’il a maintes fois réunies en volume, et qui forment le fonds de son œuvre actuelle, après avoir été l’instrument de son influence sur l’opinion publique.

Il se créa une nouvelle source d’activité et de distraction par les « voyages de lecture » qu’il entreprit à plusieurs reprises vers cette époque à travers l’Autriche et l’Allemagne : ce fut en quelque sorte un prolongement de sa première manière littéraire, la peinture malicieuse des gaîtés campagnardes. En effet, ayant eu parfois l’occasion de lire avec applaudissement dans des réunions intimes quelques-unes de ses poésies patoises, il se laissa peu à peu entraîner à le faire devant des assistances plus nombreuses, tout d’abord en faveur d’œuvres de bienfaisance, puis, à son profit personnel ; et il moissonna ainsi lauriers et florins.

Nous nous ferions quelque idée de ces succès par ceux qu’ont rencontrés récemment parmi nous tel interprète de chants de matelots, ou tel barde breton à la voix entraînante : n’est-il pas significatif que toujours la Bretagne s’évoque à notre esprit dès que nous cherchons, plus près de nous, quelque analogie avec ce peuple styrien ?

Rosegger ne chantait pas, il lisait ses vers humoristiques, « pour faire rire beaucoup, et pleurer un peu, » suivant le double caractère de son talent ; de plus les tendances pangermanistes de l’Europe centrale ne furent pas étrangères à la vogue qui accueillit partout l’interprète de l’âme paysanne alpestre. Des personnages illustres ont souvent réclamé le plaisir de l’entendre, et l’infortuné archiduc Rodolphe témoignait une bienveillance toute particulière à sa Muse.