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elle, qui n’ont qu’elle pour source de population, pour aliment et pour raison d’être.

Concentration de l’outillage, du travail et des travailleurs ; concentration parallèle et pareille, des capitaux. Quelques milliers de francs, quelques centaines de milliers de francs au maximum, un bailleur de fonds ou une commandite suffiraient à l’usine qui n’était guère qu’un atelier et que l’on vouait à un seul objet ; mais des millions ne seraient pas de trop pour l’usine qui, comme A, B et G, s’étend à dix ou quinze ateliers, embrassant toute la production, toute la fabrication du fer ou de l’acier ; or, ces millions, dont on ne saurait se passer, le meilleur moyen de les avoir, c’était de les demander à tout le monde par une émission d’actions. L’argent affluait donc de partout vers l’industrie, se concentrait de partout sur l’industrie. Il en était lui-même comme un second moteur ; autour de celui-là, comme autour de l’autre, autour de l’argent comme autour de la machine, se faisait la concentration ; et, comme le travail, le capital obéissait à cette force, subissait cette loi, à laquelle rien n’échappe dans le monde depuis un siècle, et qui est, je dirais volontiers la loi fondamentale et constitutionnelle de la grande industrie.

Néanmoins, ce n’est pas assez de dire la loi de concentration ; et l’on devrait dire la double loi de concentration et de spécialisation, deux lois qui ne sont point contradictoires, mais complémentaires l’une de l’autre, et qui ne sont pas en vérité deux lois, mais deux titres de la même loi, pour régler deux mouvemens et régir deux temps du même acte. La grande industrie concentre, puis spécialise, puis reconcentre. Et, puisque nous y avons relevé tous les traits, tous les caractères de « l’organisation, » pourquoi ne pas oser dire enfin qu’ici le mécanisme se comporte comme l’organisme ; que la loi de concentration et de spécialisation du travail correspond, dans la série mécanique, à la loi d’intégration et de différenciation des fonctions, dans la série organique ; qu’une usine croît, s’entretient, se développe comme un être vivant, si bien que toute audace de langage s’excuse, fait mieux que de s’excuser, se justifie ; et qu’il n’y a presque plus de métaphore à parler d’elle comme d’un être vivant ?


CHARLES BENOIST.