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çais aura livré tous ses secrets. Ce jour-là, la science aura remporté une belle victoire. Je ne doute pas que Diez en reste, aux yeux de la postérité, l’immortel organisateur[1].

Donc, aujourd’hui, l’étymologie est une science, et non plus, comme autrefois, une manière de divination. Le public n’est pas surpris que deux étymologistes puissent se regarder sans rire. Mais peut-être lui fait-on trop de mystère des principes qui les guident, ce qui mêle quelque défiance au respect qu’il consent à leur témoigner. L’extraordinaire fortune qu’ont eue de nos jours les sciences de la nature, les découvertes retentissantes qui se sont produites dans leur domaine et qui sont entrées, du jour au lendemain, dans le réseau de notre vie sociale pour en renouveler toute l’économie, ne pouvaient manquer de rejeter dans l’ombre les autres objets auxquels l’homme s’était plu dès longtemps à appliquer son intelligence, et en particulier l’étude du langage. Certains philologues, et non des moindres, n’ont pas vu sans quelque dépit la faveur publique prendre cette direction, et, pour chercher à la capter, ils ont insisté plus que de raison sur les rapports qui unissent le langage aux phénomènes naturels. L’illustre Max Muller a écrit : « Les rapports intimes qui existent entre l’histoire du langage et l’histoire de l’homme ne suffisent pas pour exclure notre science du cercle des sciences naturelles. Si on la définit rigoureusement, la science du langage peut se proclamer complètement indépendante de l’histoire. » Des livres ont paru depuis, dont les titres, entendus à la lettre, pourraient faire croire que le langage a une vie propre, analogue à celle des plantes, et tout à fait indépendante des facultés intellectuelles de l’homme. Il est inutile de réfuter ici de pareilles idées, contre lesquelles se sont élevées des voix autorisées, notamment celles de M. Michel Bréal et Gaston Paris. Mais il faut affirmer bien

  1. La première édition du Dictionnaire étymologique des langues romanes (en allemand) de Diez est de 1853 ; la cinquième et dernière, publiée onze ans après la mort de l’auteur par Auguste Scheler, est de 1887. On trouvera dans le Dictionnaire latin-romain (en allemand) de M. G. Körting (2e édition, 1901) un résumé commode de l’œuvre de Diez, augmenté des nouvelles découvertes faites récemment dans ce domaine. Les auteurs qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ont écrit des livres qui comptent sur l’étymologie relèvent tous de Diez. Il suffit de citer Scheler, Littré, Brachet et Arsène Darmesteter, en renvoyant à ce qu’en a dit ici même le juge le plus compétent en la matière, M. Gaston Paris (Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1901). Il est bon de remarquer que le Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française de M. Charles Toubin, paru en 1886, est une œuvre de protestation qui, heureusement, n’a pas été prise au sérieux.