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La science étymologique
et
la langue française


L’enfant aime à jouer, mais il n’aime pas moins à casser son jouet pour voir ce qu’il y a dedans. L’homme fait tient beaucoup de l’enfant, et ce qu’il en garde n’est pas ce qu’il a de pire. Le plaisir de posséder, de jouir, ne le satisfait pas s’il ne se double du plaisir de savoir. Le langage, une fois constitué dans ses élémens essentiels, ne pouvait manquer d’exciter la curiosité de ceux qui en jouissaient comme d’un patrimoine héréditaire qu’ils ne se faisaient pas faute de mettre en valeur, mais qu’ils n’avaient pas l’illusion d’avoir créé. On ne saura jamais, sans doute, si l’homme parlait déjà dans les cavernes de la période quaternaire ; mais on peut être assuré qu’aussitôt qu’il parla couramment, il se demanda ce qu’il y avait dans sa parole. Cela dut arriver bien avant le temps des Sages de la Grèce ou des Brahmanes de l’Inde, et peut être dès la génération, d’auguste mémoire, qui creusa le fossé entre la bête et l’homme en assurant à ce dernier l’indestructible privilège du langage. Il n’était pas possible de parler longtemps sans s’apercevoir que l’effort de la pensée, à peine échappée de ses langes, faisait parfois craquer le vêtement neuf, si chatoyant mais si étriqué, dont on l’avait revêtue. La linguistique naquit d’un regard coulé à travers les déchirures.

De toutes les études dont le langage peut être l’objet, l’étymologie est celle dont le nom remonte le plus haut. Ce nom, chacun le sait, n’a pas été fabriqué de nos jours, comme tant d’autres termes scientifiques de même désinence que nous voyons