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vous comprenez… Vous m’avez fort amusé avec votre député… … Mais quelle faute que ce petit royaume ! Il fera un jour bien du mal aux grands. Ce que c’est pourtant que la blague des journaux au XIXe siècle. Les Grecs violaient le droit des gens en faisant une insurrection en Crète. Si les Turcs fussent allés en demander raison en Grèce, on ne l’eût pas permis. Après la bataille de Pharsale, on amena à César des Athéniens pris avec les Pompéiens, et le procureur général proposait de les pendre, pour s’être mêles des affaires du Peuple romain. César leur dit : « Tas de canailles, vos grands morts vous sauvent ! » C’est ce qui arrive encore aujourd’hui. Voici une histoire en retour de celle de votre député. Notre amie la marquise R… a le tort de tenir un journal où elle écrit ses pensées et ce qu’on lui dit. Elle aime à s’entourer de gens d’esprit et leur fait beaucoup d’accueil. Elle était très charmée de Sainte-Beuve qu’on venait de lui présenter, tant qu’elle lui a prêté un de ses cahiers, écrit comme il semble depuis assez longtemps. Sainte-Beuve ouvre au hasard et tombe sur une page où elle disait : « S. B. mène, à ce qu’il paraît, une vie crapuleuse. Il vit avec trois coquines. Je suis charmée qu’on ne me l’ait pas présenté, etc. » Il y avait une page et plus de ce style. S. B., qui n’est pas endurant, a pris la chèvre et a renvoyé le volume avec une lettre écrite de sa bonne encre. Il regrettait de ne pouvoir mériter, vieux et malade qu’il était, la réputation que la marquise voulait bien lui faire. Il l’engageait à avoir un peu plus de mémoire et un peu plus de prudence et finissait en la priant d’agréer l’expression de ses respects qu’il ne pourrait plus lui porter lui-même. Il aurait dû borner là sa vengeance, mais il a fait part de son article et de sa lettre à S. G. Vous jugez de la confusion de l’auteur des mémoires. Elle lui a écrit une lettre désespérée, et dans le premier moment, elle a fait force bêtises pour réparer son étourderie. Ce qui n’a pas empêché que la chose, plus ou moins arrangée, ne soit arrivée aux petits journaux. — On m’a dit ce matin qu’il n’y aurait pas d’élections cette année. J’en suis fâché. La récolte est excellente. On ne croit pas à la guerre, et au fond, il n’y a pas de question qui passionne les électeurs. Il y avait tout lieu d’espérer une Chambre sage et point taquine, tandis qu’en 1869 personne ne sait ce qui arrivera. M. de Bismarck est fort souffrant. C’est une chandelle qui brûle par les deux bouts. S’il passait dans un monde meilleur, il est à craindre que le