Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ils le désiraient autre que le « Corse » ami du prêtre et protecteur de l’émigré. Prisonniers de leurs propres cohortes, contraints à s’adjoindre Augereau ou Masséna, les généraux vainqueurs auraient imposé à leur république de caserne quelque triumvirat militaire. Un gouvernement de soldats, rien que de soldats, et, — suivant l’énergique expression de Mounier, — « délibérant, le sabre en main, sur les destinées de la France, » voilà ce que rêvèrent les « derniers Romains » de l’an X, et ce qu’ils ne purent accomplir. Au surplus, une phrase de Fouché, en sa correspondance, démontre qu’il avait fort bien deviné le secret de la conjuration et la pensée intime des conjurés : « Ce complot odieux en lui-même ne sera pas sans avantage pour le pays… Nous avons écarté l’influence militaire, suite de nos troubles civils… » Oh ! dérision de l’histoire, étrange ironie de la vérité ! Napoléon Bonaparte menacé de mort, en 1802, par la soldatesque, comme étant une âme pacifique, répugnant trop aux batailles sans trêve, aux tueries sans arrêt !…

Mais l’appel jeté par les jacobins de l’Armée n’éveilla pas d’écho ; la France, harassée de convulsions, acclama une dictature qu’elle espérait reposante, — et rien ne put troubler les sereines douceurs de la paix consulaire, ni son vaste silence, fait de lassitude assoupie ou de craintif émerveillement.


GILBERT AUGUSTIN-THIERRY.