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de la Restauration signalent « ce fils d’avoué » comme un fidèle de Buonaparte, favorable à l’Usurpateur, et « portant au fond du cœur l’aigle et la cocarde tricolore. » Chargé de tant de méfaits, Pinoteau fut envoyé « en exil » à La Rochelle. Le Gouvernement de Juillet lui restitua son commandement, et il mourut maréchal de camp, en 1834. Son nom est resté populaire au pays des Charentes, et les biographes de ce brave à l’âme si débile n’ont voulu connaître de lui que ses quatorze campagnes, et les deux blessures, stigmates de gloire, qu’il reçut faisant face à l’Anglais.

L’imprimeur Chausseblanche fut écroué, lui aussi, dans un cachot du Temple Là, toujours lamentable, il larmoya, implorant Fouché « magistrat sensible et bon ; » mais, en dépit des épithètes, Fouché le fit conduire au château d’Oléron : le crève-misère savait trop de choses, et ne pouvait brider sa langue. De ses jambes goutteuses, et mené à la chaîne, Chausseblanche parcourut donc les dures étapes que suivirent alors tant de condamnés politiques. Aucun puissant du jour n’élevant la voix pour ce chétif, on l’oublia dans la citadelle. Durant dix-neuf mois, il y fut détenu, parmi les voleurs et les malandrins, laissant mère, épouse, enfans dans une atroce misère : certes, ce n’était pas là ce que lui avait promis Mounier, autre « magistrat tutélaire. » Enfin, après bien des souffrances, le vieil homme fut rendu à sa famille, à son labeur, à sa débine : il continua de vivre en l’indigence, et mourut misérable… Un pauvre hère !

Le vaguemestre François Bertrand fut condamné à la déportation. Son nom figure sur une liste dressée au mois de brumaire an XII ; c’est un des treize « individus dont le Premier Consul a ordonné l’embarquement. » En marge de ce nom, le ministre de la Justice, Régnier, a libellé cette suggestive observation : « Auteur d’écrits séditieux dont le but était d’insurger l’armée, et de provoquer à l’assassinat du Premier Consul. Instruit et intelligent, pourrait être employé militairement… » Fut-il vraiment déporté ? Non, sans doute ; aucun Bertrand n’est mentionné parmi les jacobins que la frégate Cybèle déposa dans les palétuveraies de la Guyane ; on perd sa trace, et son dossier, toujours énigmatique, s’arrête au mois d’août 1802. Selon toute apparence, il fut « employé, » mais non « militairement : » sorti de la police, il y rentra… Au surplus, ce jovial personnage ne put disparaître sans accomplir une plaisanterie suprême, et l’objet de sa nasarde fut encore Bonaparte. Très ferré sur l’Almanach