Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait. Au moment où l’histoire devient plus maîtresse de ses moyens de recherche et d’expression et trouve dans le public plus de faveur, elle entre en possession de toute sorte de ressources encore inexploitées. Les archives nationales longtemps inaccessibles s’ouvrent aux curieux en même temps que des liasses de documens sortent des collections privées. C’est toute une matière nouvelle jetée dans la circulation et qu’il reste à mettre en œuvre.

C’est ainsi, en fouillant le dépôt de nos archives diplomatiques, que M. Albert Vandal a vu s’esquisser les premières lignes de son œuvre d’historien. A feuilleter ces pages jaunies par le temps, il éprouvait ce plaisir singulier de surprendre dans son intimité la pensée des siècles écoulés. Il en a tiré d’excellentes études : Louis XV et Elisabeth de Russie, Une ambassade française en Orient sous Louis XV, et un récit amusant, coloré, vivant, qui tient du roman d’aventures et du conte fantastique, les Voyages du marquis de Nointel, livre aussi précieux pour l’histoire des lettres que pour l’histoire proprement dite, puisque la mission de Nointel à Constantinople était la réponse à certaine turquerie parodiée par Molière dans la cérémonie du Bourgeois gentilhomme, que notre ambassadeur emmenait avec lui Antoine Galland, le futur traducteur des Mille et une Nuits, et qu’il allait lui-même, entraîné par son humeur de dilettante, faire avant Chateaubriand et Lamartine le double pèlerinage en Grèce et en Palestine. Le danger pour qui se consacre à l’histoire diplomatique, c’est qu’il risque de limiter son horizon à celui des chancelleries. Parce qu’il a découvert le secret des négociations, il est tenté de croire que ce secret explique tout. A voir les questions à débattre entre quelques individus dont il démêle les visées prochaines, les intérêts immédiats et les passions, il cesse d’apercevoir l’ensemble et les conditions générales de la vie des peuples. Ce défaut devient d’autant plus grave, à mesure qu’on se rapproche davantage de l’époque moderne et d’un temps où les affaires relèvent plus de l’opinion. C’est le mérite de M. Vandal d’avoir su l’éviter. Dans son œuvre maîtresse, Napoléon et Alexandre, quel que fût le relief des figures principales, et, tout en concentrant la lumière sur de si grands acteurs, il s’est continûment soucié d’évoquer autour d’eux le tableau concret de toute une époque. On retrouvera le même procédé, appliqué avec autant de largeur et de sûreté dans le volume qu’il vient de publier sur l’Avènement de Bonaparte[1]. Le lecteur est séduit d’abord par l’aisance et la variété

  1. Albert Vandal, l’Avènement de Bonaparte, t. Ier, 1 vol. in-8o (Plon).