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avec le plus d’aisance. Apparemment il ne s’abuse pas sur la valeur de cet exercice, et ne croit pas ce qu’on lui en dit. Il est homme d’esprit et ne peut être dupe du tapage que font autour de lui ses amis. Mais que les amis de M. Capus lui rendent un mauvais service et qu’ils sont maladroits ! Il suffit que son nom paraisse sur l’affiche, le chœur donne tout entier et part d’une seule voix. C’est un délire d’enthousiasme, un débordement d’admiration éperdue et spasmodique, un désespoir que la langue soit trop pauvre en épithètes, une aspiration à trouver des formes de louange inédites et inouïes. On jurerait qu’ils veulent l’accabler sous un amoncellement de glorieux pavés. On se demande : est-ce qu’ils se moquent ? est-ce de l’ironie appliquée à un ironiste ? Se sont-ils donné le mot et font-ils exprès de vanter ces petites pièces justement pour les mérites qu’elles n’ont pas ? Ils pourraient en louer le charme fragile et inconsistant, ils en louent la « profondeur. » Ils pourraient féliciter M. Capus de l’adresse avec laquelle il se meut dans la convention : ils lui font honneur de ce qu’il y a de « vécu » dans son art. Ils l’ont promu au grade de « moraliste. » Il y en a un qui a déclaré qu’en sortant de la Châtelaine il s’était senti meilleur : ainsi, dans la période de ferveur des religions le pécheur touché de la grâce fait une confession publique de ses fautes. D’autres ont découvert qu’il y a une philosophie dans ce roman dialogué et que c’est l’optimisme. Ils ont senti passer un souffle d’« humanité. » Il est impossible de souligner avec plus d’insistance, d’une façon plus désobligeante et plus appuyée les insuffisances de la pièce. On nous force à en apercevoir les lacunes. On nous gâte ainsi le plaisir que nous prendrions à cet art gentiment vieillot, agréablement fade et dont le petit air candide n’est pas sans charme.

La Châtelaine est très bien jouée. M. Guitry est tout à fait à son aise dans un rôle qui ne demande pas d’élégance, mais qui est fait de bonne humeur un peu épaisse et de suffisance un peu lourde. Le rôle de Thérèse est très monocorde ; Mme Hading s’y montre touchante. M. Tarride dans le rôle de Gaston de Rives et Mme Rosa Brück dans celui de Mme La Baudière, sont, comme il convient, un pleutre sympathique et une mégère séduisante. M. Boisselot est tout particulièrement remarquable, d’une finesse et d’une bonhomie exquises sous les traits du débonnaire et rusé mari de Mme La Baudière.


Le cas de Mme Suzanne Desprès, qui vient de quitter la Comédie-Française après y avoir fait un court passage, est un exemple de plus qui montre bien le danger de certaines admirations bruyantes et