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y retrouver les images de la vie de chaque jour. Quelques-uns seulement ont l’incurable souci du vrai. La Châtelaine n’a pas été écrite à leur intention. Une femme encore jeune, Thérèse, a été, pour. son malheur, mariée à un certain Gaston de Rives qui est un pauvre homme et un coureur. Celui-ci l’a trompée bêtement et ruinée complètement. Thérèse a demandé le divorce et l’obtiendra haut la main. Après quoi, pour vivre et élever son fils, il ne lui restera plus qu’une ressource : la vente d’un château délabré, qui vaut à peine quelques billets de mille francs. Nous savons assez bien ce qui arrive dans ces cas de vente forcée. Thérèse donnera sa masure historique pour un morceau de pain et ce sera la misère. A moins, toutefois, qu’un sauveur, tombé du ciel et s’introduisant par la toiture en déroute, ne surgisse à l’improviste et juste à point pour payer au poids de l’or ces vieilles pierres. Mais ces choses-là ne se voient que dans les romans. Elles se voient dans la Châtelaine. André Jossan, venu on ne sait d’où, arrivé on ne sait comment, se rencontre avec Thérèse, en devient dans les cinq minutes éperdument amoureux, et, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, offre en sa personne à la jeune femme un mari digne d’elle, à son enfant un papa très riche.

André Jossan est le personnage sympathique. Il l’est outrageusement et sans vergogne. C’est celui dont le rôle consiste à promener d’un bouta l’autre des pièces son perpétuel sourire et sa fatuité imperturbable. Il est généreux, il est spirituel, il est séduisant, il est irrésistible. Il évolue à travers les obstacles avec l’assurance souriante de l’homme habitué à vaincre. Pas une difficulté qui le prenne au dépourvu, et pas une occasion pour laquelle il n’ait une plaisanterie toute prête. Sa fonction est d’avoir toujours raison, et raison avec grâce : il s’en acquitte sans défaillance. Il est l’ironique redresseur des torts. Mis aux prises avec lui, les méchans n’en mènent pas large. Il leur dit leur fait pour la plus grande joie des bonnes âmes et les persifle avec une désinvolture supérieure. C’est ce personnage sympathique dont, il y a quelques années, tout le monde s’accordait à reconnaître qu’à force d’être sympathique il en devenait insupportable.

Mais dans le genre de comédie que nous essayons de définir, ce rôle n’est pas seulement indispensable : il est toute la pièce. Aussi peut-il être curieux de constater sous quels traits apparaît à nos contemporains l’homme à qui vont toutes leurs sympathies. André Jossan n’est pas tout jeune. Car nous ne sommes plus guère sensibles au charme de la jeunesse. C’est peut-être que dans notre société vieillie, agitée, inquiète du lendemain, il n’y a plus de place pour elle. Nous ne