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mesures prises sans son concours. Mais cette assemblée est animée du même esprit que celle dont Cromwell s’était si lestement débarrassé en avril 1653. Avant tout, elle se prépare à réviser la Constitution. Le Protecteur, pour déjouer cette résistance, revient à son système d’épuration arbitraire et impose aux députés, comme condition préalable à leur admission, un serment de fidélité à cette Constitution qu’ils se proposent de refaire. Chacun agit alors suivant son tempérament. Les uns refusent le serment et se retirent ; les autres prêtent serment et persistent dans leur opposition. C’est à peu près vers ce temps que le jeune Louis XIV faisait, le fouet à la main, enregistrer ses édits par le Parlement de Paris. L’ancien fermier du Huntingdonshire se comporte à peu près de même. Il fait comparaître devant lui les élus de la nation : « On vous permet de discuter les détails de la Constitution. Mais il vous est défendu de toucher aux points essentiels, c’est-à-dire à la non-perpétuité du Parlement et à la concentration du pouvoir exécutif dans une seule main. » Cette fois, ils se le tiennent pour dit et se contentent d’élaborer une vingtaine d’articles insignifians qui allongent et compliquent la Constitution. Leurs cinq mois écoulés, on les congédie et voilà le Protecteur délivré de tout contrôle importun pour le reste de la période triennale.

Alors commence une nouvelle expérience, le gouvernement des majors-généraux. L’Angleterre est divisée en douze districts à la tête desquels sont placés ces officiers. Les troupes sous leur commandement, auxquelles s’ajoute la milice nouvellement créée, composent une formidable police militaire. Qui paie les frais de cette coûteuse institution ? Ceux-là mêmes contre lesquels elle fonctionne, les Malignants, ceux qu’on soupçonne d’attachement à la foi catholique ou à la dynastie déchue. On leur a d’abord pris le dixième de leur revenu, puis le tiers, puis les deux tiers. Au moindre mouvement de résistance, on confisque toutes leurs propriétés et on les envoie aux Indes occidentales où ils sont vendus comme esclaves. La liberté de la presse a disparu ; l’indépendance des juges n’est plus qu’un souvenir. Partout règne le bon plaisir, servi par la délation. Parmi les majors-généraux quelques-uns semblent avoir encore en vue l’idéal des premiers jours, le retour à la pureté des mœurs bibliques et le gouvernement de Dieu sur la terre. D’autres sont de simples tyrans. L’armée, démesurément augmentée, ne contient plus rien des