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faveur et tous les historiens, jusqu’à M. Morley, s’accordent à les regarder comme des imbéciles et des brouillons. Ce qui prouve que l’armée n’avait pas eu, un seul instant, l’intention d’abdiquer entre les mains des godly men, c’est que, quelques jours après, une Constitution, élaborée à l’avance par les prétoriens du puritanisme, se trouva prête à être promulguée et mise en pratique. Cette chinoiserie constitutionnelle s’appelait l’Instrument de Gouvernement. C’est la seule Constitution écrite que l’Angleterre puisse opposer aux nombreuses paperasses de ce genre dont notre histoire nationale est encombrée. On attribuait les difficultés et les désordres des années précédentes à la confusion des deux pouvoirs, l’exécutif et le législatif. C’est pourquoi la Constitution nouvelle avait pour objet principal de séparer nettement leurs attributions. Or elle les embrouilla et les enchevêtra d’une façon irrémédiable. En effet, d’après l’Instrument de Gouvernement, le Parlement, pendant qu’il siégeait, avait sous ses ordres l’armée et la marine, mais il ne siégeait que cinq mois en trois ans et, pendant le reste du temps, le Lord-Protecteur avait le droit de légiférer comme il lui plaisait et son autorité était plus absolue que celle d’un roi, puisque le budget ordinaire était établi une fois pour toutes, en dehors de toute discussion. Par une dernière contradiction, tout aussi flagrante, le chef du gouvernement était censé partager l’autorité avec son conseil, et ce conseil, qui devait le contrôler, était formé de ses créatures. Enfin l’exécutif (c’est-à-dire le Protecteur et son conseil) s’arrogeait le droit de vérifier les pouvoirs des membres du Parlement, réduit à une assemblée unique et, par conséquent, d’éliminer ceux dont les opinions lui seraient suspectes. Quant à la grosse question de la réforme ecclésiastique, l’Instrument l’ajournait à une autre époque, Ayant à choisir entre le presbytère et l’épiscopat qui leur déplaisaient également, les indépendans s’abstenaient.

La nouvelle Constitution fut inaugurée par dix mois de gouvernement personnel, pendant lesquels le Protecteur et son conseil rendirent 88 décrets ayant force de loi. Beaucoup de ces décrets sont des mesures d’administration et de police (comme la fixation du nombre maximum des voitures de louage dans Londres) ; d’autres ébauchent la réforme des mœurs en édictant des peines contre l’ivrognerie, les jurons, la violation du sabbat. Lorsque le Parlement est enfin réuni, on l’invite à sanctionner ces