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la tournée fût déjà faite. Tout ce qu’il était possible de dire pour l’empêcher a été dit. Combien de temps le voyage durera-t-il ? C’est ce que personne ne sait encore. On espère que la chaleur pourra contribuer à l’abréger.

Je suis charmé que vous écriviez un livre d’histoire que le pauvre monde puisse lire. Ecrivez aussi, pour plus tard, quelque chose sur la Grèce. Ne pourriez-vous pas leur demander, comme garantie de l’argent que nous leur avons prêté, les marbres du Parthénon, avec promesse de les rendre contre paiement ? Adieu, cher monsieur, portez-vous bien et prenez en patience les sottises humaines. Si je savais comment vous envoyer le procès du fils de Pierre le Grand, je vous ferais lire une cinquantaine de pages de ma prose perdue dans le Journal des Savans[1]. Ἔχε τε ὑγίειαν φίλτατε ἀπενθῆ.


Paris, 3 juillet 1865,52, rue de Lille.

Cher Monsieur,

Si je n’ai pas répondu plus tôt à votre aimable lettre, c’est qu’il m’a fallu des efforts infinis pour me procurer le procès du tsarévitch Alexis, avec lequel vous désiriez vous former l’esprit et le cœur. Vous saurez que ce travail historique, aussi remarquable par la profondeur des pensées que par l’aménité du style, a paru dans le Journal des Savans et n’a pas duré moins de six mois à paraître. On en avait tiré trois ou quatre exemplaires que j’avais distribués. Je suis parvenu à en rattraper un que je vous envoie par M. Herbet. Je regrette que vous n’ayez pas sur le trône de Grèce quelque gaillard de l’encolure de feu Pierre le Grand. Il avait des méthodes civilisatrices à lui qui seraient excellentes, je pense, appliquées aux descendans de Thémistocle. Il eût été à désirer qu’avant de doter la Grèce d’institutions constitutionnelles on eût accroché aux oliviers qui bordent la route du Pirée à Athènes un très grand nombre de palikares ignorans de la différence entre le mien et le tien. Ce n’est qu’après ce premier travail qu’on peut passer sans inconvénient aux discussions parlementaires. D’ici, à vous dire vrai, il nous semblé que la Grèce s’en va à tous les diables. Vous pourriez peut-être nous répondre que tout le monde prend le même chemin, et je ne suis pas trop d’humeur à vous contredire.

  1. Procès du tsarévitch Alexis. Tirage à part du Journal des Savans, septembre 1864-février 1865.