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tables étaient occupées par des officiers allemands en tenue.

Quand j’entre dans la salle surchauffée, mes lunettes se couvrent d’une buée qui m’aveugle. Cela a dû me donner l’air très sot ; mais personne ne fait attention à moi et je me mets à souper de fort bon appétit.

En montant me coucher, je recommande au garçon de service de nuit de frapper à ma porte dès cinq heures du matin ; mais il m’oublie et il est sept heures quand je me réveille. Je m’habille à la hâte et je descends à la caisse.

Tout en payant, j’aperçois sur le bureau le livre des voyageurs, tout grand ouvert, avec toutes ses cases. Je me plains très vivement de n’avoir pas été éveillé et d’avoir manqué une affaire importante. La caissière se confond en excuses et oublie de me faire remplir le livre.

Je passe la journée de Noël en chemin de fer, roulant vers Heidelberg, Carlsruhe et Bâle, — en 1re classe ! j’avais eu trop froid la veille, — et dans un wagon-salon chauffé par un excellent poêle. Je n’ai que deux compagnons de wagon, un officier supérieur wurtembergeois, et un autre voyageur, qui me demande de faire un échange de journaux. Il était tenté par ma Gazette de la Croix. Je la lui donne ; il la lit avec une grande attention, tandis que moi je ne tarde pas à m’endormir sur son journal ou tout au moins à en faire semblant.

A partir de Carlsruhe, je reste seul. Le conducteur du train est aux petits soins pour son unique voyageur de 1re classe ; je lui donne un fort pourboire à l’occasion de Noël. Son obligeance ne connaît plus de bornes.

Enfin, le train s’arrête à Leopoldshœhe, la dernière station allemande.

J’étais fatigué par les émotions de mon expédition, qui durait depuis plus de cinquante heures ; mais je me raidissais contre la lassitude et l’énervement, pour me préparer à répondre aux interrogations de la gendarmerie de la frontière. On la disait très vigilante, car quelques officiers français s’étaient sauvés en violant leur parole et on avait donné les consignes les plus sévères.

Je repassais donc mes réponses ; je songeais aussi à la nécessité de chercher à m’en fuir immédiatement, si l’on voulait m’arrêter, en courant le long de la voie vers Bâle dont on apercevait déjà les becs de gaz. J’étais prêt à tout, lorsque la portière de