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La vue s’y étendait sur la grande plaine morne, alors toute couverte de neige, qui avoisine Glogau ; vers la gauche, nous apercevions l’Oder et quelques bateaux emprisonnés par les glaces. Nos heures de promenade étaient fixées, le matin de neuf heures à dix heures, le soir de trois heures à quatre heures. Nous y étions surveillés par le geôlier et par les factionnaires du poste.

On entrait dans notre prison par une double porte solidement fermée. Au rez-de-chaussée, de chaque côté de l’escalier, se trouvaient deux chambres : l’une d’elles était occupée par le vieux maire et M. Cocault, qui y étaient sous clef, et ne pouvaient pas communiquer avec nous. L’autre chambre fut occupée plus tard par un nouveau prisonnier civil, le maire de Montargis : un ancien maire de l’Empire.

Au premier étage, il y avait deux autres chambres réservées aux officiers. Nos fenêtres étaient munies de grilles en fer. Dans chaque chambre, une sonnette était pendue à l’extérieur à l’un des barreaux du grillage, afin de permettre aux prisonniers d’appeler du secours, en cas d’urgence.

Le geôlier était un gendarme, sec, nerveux, colère, ivrogne, mais, au demeurant, un brave homme. Je fis son bonheur en lui servant d’interprète et en lui expliquant en allemand les besoins de mes camarades qui, jusqu’alors, n’avaient pas réussi à se faire comprendre. J’avais renoncé à dissimuler que je parlais un peu l’allemand.

Nous prenions, les six officiers, nos repas en commun, dans l’une de nos chambres : le matin à onze heures, le soir à six heures. Des ordonnances nous montaient nos repas dans des paniers ; quand ils étaient descendus, le geôlier venait nous inspecter et prendre nos lettres.

Mes camarades de prison étaient gais et pleins d’entrain. C’étaient d’excellens officiers, ayant vaillamment fait leur devoir dans les batailles du début de la guerre. L’un d’eux avait été l’un des derniers défenseurs de Saint-Privat. A la nuit, sa troupe s’était trouvée coupée par les Allemands dans une maison du village et il lui fallut faire des prodiges d’énergie pour rejoindre, au milieu de nos ennemis, les lignes françaises. Les quatre officiers de cavalerie avaient tous été fortement engagés dans la mêlée qui amena la destruction complète de la brigade prussienne de Bredow, le 16 août.

L’attitude que ces braves officiers avaient prise en Allemagne