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et à l’intérieur des lignes. Mais nous étions si attristés, si humiliés, que nous ne quittâmes pas notre établissement. Les murs du parc nous isolaient des troupes allemandes, qui grossissaient sans cesse autour de nous ; et nous aurions pu nous faire illusion et essayer d’oublier si, de loin en loin, les sons traînans et lugubres des clairons allemands ne nous avaient pas rappelés à la réalité.

Le 1er novembre, on nous signifie l’ordre de nous embarquer le lendemain dans un train destiné aux officiers généraux et à leurs états-majors.

Nous partons en effet à l’heure indiquée. Le train se dirige d’abord sur Nancy. Pendant qu’il stationne aux abords de la gare, des attroupemens se forment sur le remblai qui domine la voie. Affolés par la présence des Allemands, des hommes et des femmes du peuple s’oublient jusqu’à nous insulter. On nous crie : « Lâches, vendus ! Au lieu de vous battre, vous avez trahi votre pays ! » On nous lance des pierres. L’une d’elles vient briser une vitre du compartiment où se tient le général de Berkheim et manque ainsi de blesser un des généraux les plus vaillans, les plus énergiques de l’armée.

Le général de Berckheim s’était fait à Metz, comme devant Sébastopol, comme en Italie, une réputation bien justifiée par ses admirables qualités de chef et de soldat. Il aimait le combat pour le combat ; courait au poste du danger dès les premiers coups ; redressait sa grande taille sous le feu de l’ennemi ; animait tous les courages et engageait ses troupes avec une audace et une crânerie entraînantes. Il avait été blessé le 18 août.

Pendant le blocus, sa force d’âme ne faiblit pas un instant. Si l’on avait écouté ses avis, les tristesses de cette période auraient été changées en une page honorable et même glorieuse pour l’histoire de notre pays.

A la capitulation on l’empêcha de faire brûler, comme il en avait donné l’ordre écrit, les drapeaux du 6e corps. Toutefois, il fit mettre ses mitrailleuses hors de service. L’exaspération de ces manifestans était peut-être justifiée par les douleurs du moment ; mais file s’adressait mal. Elle m’attrista profondément.

A Lunéville, quelques habitans viennent nous saluer sur le quai, nous donner des nouvelles et en recueillir sur les événemens de Metz, sur leurs amis, leurs parens de l’armée. Ils nous apprennent tout bas que quelques officiers de Sedan,