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honoraires, c’est-à-dire vous sera payé. Peut-être se trouvera-t-il même quelqu’un pour vous faciliter une existence plus relevée. Ecrivez-moi donc bientôt, et soyez tout à fait sincère vis-à-vis de votre dévoué,

Professeur-docteur A. SVOBODA,

rédacteur de la Tagespost. »


Cette lettre témoignait peut-être en faveur du talent déjà visible dans l’envoi de Rosegger, mais certainement plus encore en faveur de la bienveillance innée, de l’ouverture généreuse du cœur chez son correspondant ; car il est rare, on l’avouera, que la première démarche d’un débutant, si mal en situation de s’aider lui-même, rencontre un pareil accueil. Et, par une assez exceptionnelle intervention de la Justice distributive dans les choses de ce monde, non seulement cet encouragement, toujours si hasardeux en présence d’une prétendue vocation littéraire a, pour une fois, réussi : mais encore le docteur Svoboda, d’ailleurs publiciste estimé et polygraphe fécond, fit pourtant davantage pour sa réputation par ces quelques lignes sorties du cœur que par tout le reste de ses écrits. Lorsqu’il fêta, le 26 janvier 1898, son soixante-dixième anniversaire, il se vit complimenter cordialement, dans la presse allemande tout entière, sous ce titre significatif : « Celui qui a découvert Rosegger, der Entdecker Roseggers. »

Ce protégé, à l’égard de qui sa bienveillance tendre, solide, sincère jusqu’à la sévérité, et toujours pleinement désintéressée, ne devait jamais se démentir, songea tout d’abord avec effroi aux moyens de répondre à son invitation et de lui faire parvenir le paquet déjà si volumineux de ses écrits ; plus de quinze livres pesant de littérature ? Par bonheur, le parrain de Pierre, appelé à Grätz pour affaires, se disposait à se rendre de son pied léger dans la métropole, éloignée de seize lieues, et voulut bien se charger du précieux fardeau : « Le brave homme s’effraya pourtant à l’aspect de la charge que je lui imposais : Allons, au nom de Dieu, dit-il enfin, si tu as pu porter tout ce fatras dans ta tête, je le porterai bien aussi sur mes épaules. Alors, s’étant muni d’une hotte, il chargea le tout, et je suivis des yeux mon messager qui, presque courbé en deux sous le poids, emportait, par le sentier pierreux, toutes mes élucubrations, pour disparaître enfin dans l’ombre des pins. »