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reviendrons d’ailleurs plus à loisir sur cette riche galerie d’originaux qui est l’ornement de son œuvre, et dont il a collectionné les pièces rares durant ses quatre années de hautes études psychologiques.

Quelles particularités divertissantes et suggestives déjà chez ses camarades de travail quotidien, chez ces « compagnons » voyageurs, que maître Natz embauchait au passage, durant leur tour d’Allemagne, et qui apportaient au jeune apprenti, avec les échos mystérieux du vaste monde leur contingent moins bien accueilli de brimades traditionnelles, car les vieilles et rudes coutumes des corporations médiévales subsistaient, à peine transformées par les lois nouvelles sur la liberté du travail ! Le long Christian, hâbleur et fainéant, l’ivrogne Wenceslas, le beau géant suisse Hans, d’un si bon cœur qu’il vient en aide à toutes les misères et que, dans les bals villageois, il profite de ses avantages physiques pour mettre aux enchères entre les filles le plaisir de danser avec lui, et pour offrir ensuite aux musiciens le produit de cette adjudication originale : ce sont là des figures qu’on n’oublie pas. Voici encore le compagnon philosophe, Toni, qui semble un frère lointain du poète souabe Christian Wagner[1], car il aspire, lui aussi, à revenir mille fois sur cette terre dont le séjour lui semble joyeux, et il a trouvé pour exprimer ce vœu une formule pittoresque : « Je voudrais, dit-il souvent, trotter, petit gamin, derrière mon propre cercueil. » Or, ajoute son ancien camarade, il avait subi le sort commun des optimistes intrépides ; son souhait devenait une certitude à ses yeux, en sorte qu’il formait déjà mille projets plus sourians les uns que les autres afin de remplir ses existences futures.

Et, à lui aussi, Rosegger nous l’assure, cette pauvre et rude existence de sa jeunesse laissa surtout des souvenirs de joie et de gaîté. Il a des accens enthousiastes pour célébrer les belles soirées et les douces nuits d’été, lorsque, aux samedis et vigiles, les garçons s’en allaient bras dessus bras dessous, se renvoyant au loin leurs chants d’allégresse juvénile par-dessus les vallons obscurs ; tandis que parfois l’un d’eux, se détachant furtivement du groupe en liesse, s’en allait causer sous la « petite fenêtre »

  1. Voyez la Revue des 15 octobre, 15 novembre et 15 décembre 1901. Les idées de métempsycose reviennent assez souvent chez d’autres héros de Rosegger, chez le Philosophe dans la forêt, le Vieil Adam, le Docteur fou : Sonderlinge aus dem Volke der Alpen.