La citoyenne Félicie ***, — ou plutôt Mademoiselle, car bien des mots en honneur sous « l’antique esclavage » revenaient à la mode, — était une jeune femme de vingt-six ans. La police nous en a tracé un portrait peu flatteur. Mais allez donc juger du charme d’un visage d’après la prose des policiers ! Ces Messieurs, en leur style, ont toujours manqué de délicatesse, et la galanterie fait défaut aux brutalités de leurs caricatures. Certes, le signalement d’une Notre-Dame de Thermidor serait chose amusante à lire, et la déesse Récamier, si olympienne sur son canapé grec, aurait gagné peu de prestige à être « mensurée. » Au surplus, qu’importe que Mlle *** ait paru peu jolie, si elle fut passionnément aimée ?… « Une femme sans beauté, affirme Saint-Simon, est souvent plus belle que les amours. »
Elle était Bretonne, et jadis sa famille, travailleuse lignée de maîtres-typographes, avait occupé un rang d’honneur dans la haute bourgeoisie de Rennes. Mais leur prospérité n’avait eu qu’un temps ; les heures mauvaises étaient trop tôt venues : en 1802, la maison d’imprimerie avait beaucoup perdu de son ancienne splendeur. Une jeune fille la gouvernait. Intelligente, instruite, fort laborieuse, elle dirigeait aussi l’éducation de ses frères, orphelins comme elle, et s’était fait la seconde mère de petits enfans sans fortune. La correspondance de la famille Rapatel ne tarit pas d’éloges sur l’énergie, le dévouement aux siens, les qualités morales de cette jeune femme : le poète-romancier de la vertu bourgeoise, Gœthe, l’aurait pu choisir pour son héroïne… Hélas ! non : cette autre Charlotte avait, de par le monde, rencontré un dangereux Werther, — non pas un soupirant mélancolique, cruellement respectueux, aimant par seul besoin d’aimer, et plus friand de suicide que de possession ; mais un officier de cavalerie, un chasseur à cheval, joyeux et bon vivant, appréciant peu le platonisme, et volontiers « houssardant » ses conquêtes : le capitaine Auguste Rapatel. Les doux familles se connaissaient de vieille date, et l’on se fréquentait. S’ennuyant en un logis trop solitaire, souvent Mlle *** s’en allait, rue de la Raison, rendre visite aux Rapatel. On dînait ensemble, dans l’après-midi ; le soir, on jouait au loto ou l’on maniait les cartes, et bientôt, sous le soleil comme sous le quinquet, le bel