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se sentait attiré depuis l’éveil de sa pensée. De sa mère, il avait hérité le talent gracieux du conteur, et dès ses premières années, il charmait ou terrifiait à son gré ses cadets par des récits capricieux. Sa science nouvelle allait lui permettre de puiser ailleurs que dans sa propre imagination les élémens de ces improvisations applaudies. Cependant, chez ses parens comme dans les fermes voisines, la bibliothèque se composait uniquement de formulaires pieux, joints à ce calendrier des illettrés dont nous avons fait mention. Aussi son esprit novice reçut-il une première et ineffaçable empreinte de la littérature religieuse qui, seule, se trouvait à sa portée. — Sa pensée s’orienta vers les choses de l’Eglise, et le curé de Krieglach n’eut pas le dimanche d’auditeur plus attentif à son prône.- Pierre s’enfermait dans les granges désertes, pour y lire à haute voix, avec les intonations de l’orateur sacré, les vieux paroissiens de ses parens : il vivait dans un rêve mystique, où le miracle tenait une place si naturelle qu’il en demandait d’éclatans à la puissance divine pour réparer ses peccadilles et ses gamineries. Et l’occasion se présenta bientôt pour l’enfant de faire éclater à tous les yeux ses connaissances théologiques. Parfois, en effet, le pasteur de ce troupeau si dispersé prenait le chemin d’Alpel afin de mettre à la portée des moins ingambes ou des moins fervens les bienfaits de la parole divine : or, l’un de ces sermons dans la forêt devint l’occasion d’un triomphe pour le petit Pierre : « Après cette instruction pastorale où je m’étais distingué, dit-il, j’eus un bon moment chez nous. Je n’étais plus en effet un petit vaurien sans portée, mais le jeune et savant théologien qui avait pu dire au curé de Krieglach ce que c’est que la foi catholique, ce qui est nécessaire au salut, en quoi consiste la justification chrétienne, et ce que saint Paul a écrit sur le mariage. Les paysans qui écoutaient bouche bée mes réponses n’avaient éprouvé qu’un étonnement plus grand encore, c’est que notre curé ne m’eût pas ordonné prêtre sur place : peut-être jugeaient-ils même que c’eût été là trop peu d’honneur, et que, dès à présent, j’avais des titres sérieux pour aspirer à la papauté. » Une réputation si bien commencée franchit rapidement la distance : on l’appelait au loin près des mourans afin qu’il leur lût des exhortations consolatrices : et il a raconté[1] comment il s’en alla un jour, porté, gamin fluet, sur les robustes épaules d’un

  1. Waldheimat, I.