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tard, reviendrait volontiers à la foi de sa jeunesse : c’est Rosegger, nous allons le voir ; ce fut jadis Féval ; c’était presque Renan. Car celui-ci aussi fut un Celte conscient de son origine, et, si son œuvre religieuse semblait à quelques-uns l’exclure de la parenté de cette race chrétienne, on pourrait répondre avec plus d’un critique qu’il ne s’écarta guère du catholicisme que par accident. Nietzsche, son admirateur décidé, a porté sur son compte ce jugement caractéristique : « Combien sont étrangement pieux, suivant notre goût, ces derniers sceptiques français, autant qu’il y a quelque sang celtique dans leur origine… Comme cette langue de Renan paraît inaccessible à nous autres hommes du Nord, cette langue où, à chaque instant, un rien de tension religieuse trouble l’équilibre d’une âme finement voluptueuse et douillette[1]. » Quoi qu’il en soit de ses dispositions religieuses, Renan a su peindre en traits heureux l’âme de sa race[2] ; il la représente timide, réservée, vivant tout au dedans, puissante par le sentiment et faible dans l’action ; chez elle, libre, épanouie ; à l’extérieur, gauche et embarrassée ; mais pensant profondément et portant dans ses instincts mystiques une « adorable délicatesse. » Jamais, dit-il, « on n’a savouré aussi longuement ces voluptés solitaires de la conscience, ces réminiscences poétiques où se croisent à la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes, que, pour peu qu’elles viennent à se prolonger, on en mourrait sans pouvoir dire si c’est d’amertume ou de douceur. » Race domestique enfin, formée par la famille et les joies du foyer ; bienveillante, remplie d’une vive sympathie pour les êtres faibles ; nulle autre n’a si bien compris le charme de la petitesse ; aucune n’a placé l’être simple, le pauvre d’esprit plus près de Dieu : « Ce peuple a eu pitié même de Judas. » Et l’auteur de la Poésie des Races celtiques croit discerner en Bretagne un christianisme de couleur particulière, assez différent de celui qui s’épanouit dans le bassin méditerranéen, peu romain d’inspiration, et plus sympathique à nos âmes parentes que le matérialisme du culte méridional. C’est bien là ce catholicisme celto-germanique qui séduit plus que le protestantisme même certains libres penseurs mystiques du temps présent.

Il est facile de retrouver la plupart de ces traits dans l’œuvre, et tout d’abord, dans la personne de Rosegger, qu’il nous faut

  1. Par delà le bien et le mal, Aph. 48.
  2. Essai sur la poésie des races celtiques.