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l’Église conservent de plus certains usages populaires qui en fixent mieux dans le souvenir l’importance et le caractère. Les parentés spirituelles ont aussi gardé leur prestige : la marraine est vraiment une seconde mère, qui ne cède guère le pas qu’à l’époux ou à l’épouse dans les affections de l’enfant introduit par sa voix dans la communauté des fidèles. Lorsqu’elle lui survit, elle doit encore lui fournir, comme jadis la parure baptismale, son suprême vêtement, le suaire dans lequel il se relèvera au dernier jour du monde. — Ajoutons enfin qu’au centre de ces montagnes le pèlerinage célèbre de Maria-Zell est en quelque sorte l’autel de famille commun à toute la province : c’est le but incessant de pieux voyageurs qui s’y rendent en exerçant les pratiques d’une rude pénitence. L’existence s’écoule donc en ces lieux sans que le regard de l’âme cesse d’être fixé sur l’au-delà mystérieux que mille liens unissent dès cette vie à la réalité de chaque jour.

L’au-delà chrétien, n’est-ce pas, pour ces fronts courbés vers la terre, l’unique élément de la vie imaginative ? Ceux qui ont pénétré, dans l’intimité de ces consciences incultes assurent que les pompes religieuses y tiennent la place occupée par l’art dans l’esprit des classes cultivées. Elles distraient l’intelligence, nourrissent la sensibilité, ensoleillent par instans le sombre voyage terrestre. Les citadins ont la tribune, le concert, le théâtre, le musée ; l’Eglise est tout cela pour les communautés forestières, et les plus fervens parmi les fidèles goûtent par anticipation les joies célestes durant l’office divin, tandis qu’ils murmurent ravis : « Puisque tout est déjà si beau dans la maison du Seigneur, combien cela le sera davantage en son Paradis ? » L’importance du rôle esthétique de la religion est une des idées favorites de Rosegger. Bien plus, si dans les réjouissances populaires se glisse quelque parodie des choses sacrées, si un moine caricatural ou un évêque travesti y apparaissent pour tenir des discours bouffons, il faut, on nous l’assure du moins, se garder de voir en ces déguisemens le moindre signe d’un doute ou le plus fugitif indice d’un manque de respect. Le moyen âge avait aussi sa fête de l’âne, ses processions comiques dans le temple même, et cela sans préjudice aucun pour la foi des fidèles. À ces hommes dont la mémoire est remplie par tous les détails symboliques des cérémonies du culte, la mise en œuvre fantaisiste des souvenirs rituels offre une issue naturelle à la bonne humeur