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pamphlet, un second placard qui lui donnait la réplique. S’adressant surtout aux soldats, et leur parlant une langue souvent triviale, celui-ci réclamait la mort de Bonaparte, et provoquait à son assassinat.


ADRESSE AUX ARMEES

AUX DIFFÉRENS CORPS ET MILITAIRES RÉFORMÉS

ÉPARS ET ISOLÉS DANS LA RÉPUBLIQUE

BRAVES FRERES D’ARMES !… Frémissez avec nous, vous qui avez combattu pour la liberté ! Nos plus cruels ennemis viennent, par la duplicité d’un traître, par la perfidie de BONAPARTE, de mettre la France à deux doigts de sa perte. Il vient de faire rentrer les émigrés ; il rétablit le clergé !… La République, ouvrage de vos soins, de votre courage, de votre constance, n’est plus qu’un vain mot ! Bientôt, un Bourbon sera sur le trône, ou bien Bonaparte lui-même se fera proclamer empereur ou roi.

Y a-t-il rien de plus dérisoire et de plus hypocrite que sa conduite à l’église de Notre-Dame, où il se fit accompagner par tous les généraux et toutes les troupes de Paris, pour assister à la messe du légat du pape ? Intérieurement il méprise cet homme et toutes les grimaces dont il l’a ennuyé durant la représentation de son spectacle mystique ; mais il en avait besoin pour affermir sa puissance. L’air faux d’un cagot devait donner du poids à sa conduite aux yeux du vulgaire, dès lors il ne vit plus que son ambition !… En Égypte, il se fit reconnaître cousin de Mahomet ; à Paris, s’il n’est pas le neveu de Jésus-Christ, il doit être au moins le frère de Pie VII, un pape de sa façon… Il s’est prosterné devant l’idole, il a baisé la patène ; mais, plus religieux que lui, nous ne nous humilierons jamais devant l’imposture : la Divinité seule aura notre hommage…

Un petit tyran nous dicte ses lois ; sa famille seule est puissante ; les généraux, ses beaux-frères, — cadets, mais très petits cadets des Moreau, des Bernadotte, des Jourdan, des Masséna, des Macdonald, des Richepanse, des Brune, des Lecourbe, — oublient qu’ils ont une patrie… Il semblerait aujourd’hui que les généraux et les armées qui ont vaincu en Italie, dans l’Helvétie et à Hohenlinden aient disparu, ou se soient dissipés comme de la fumée. Le Premier Consul, Lunéville et Amiens ; Amiens, Lunéville et le Premier Consul, — voilà donc ce qui constitue toute la gloire de la nation française ! ! !

Oh ! faiblesse de l’esprit humain, oh ! honte et humiliation de la raison et de la philosophie ! Quoi, dans le XIXe siècle, après douze ans de révolution et d’expérience, l’hypocrisie d’un homme est assez puissante pour en imposera l’énergie, à la justice et à la vertu ? Et de quel droit Bonaparte abuse-t-il de la faiblesse des Français ? De quel droit cet embryon bâtarde de la Corse, ce pygmée républicain, veut-il se transformer en Lycurgue et en Solon ? Factieux impudent et ambitieux, il ne veut qu’avilir la gloire des héros qui ont fondé la République. De quel droit ce lâche apostat du culte sacré de la liberté a-t-il voulu faire un être de raison de sa Constitution ?… Croit-il qu’on a oublié qu’il a déserté lâchement l’armée d’Égypte ?…