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inculpé. Destinés aussi aux conteurs de sornettes, aux fabricans de galbanum, l’argot de la police les avait baptisés galbanons. Quarante-huit heures passées dans leur obscurité fétide suffisaient, d’ordinaire, à raviver les mémoires, extirper les aveux, dénouer des lèvres trop bien closes… Dubois avait espéré en la puissance d’un tel remède, et son attente ne fut pas déçue. Deux jours après sa mise en galbanon, le facétieux Jean-Pierre se décida à parler. Il demanda du papier au « citoyen concierge, » et rédigea longuement sa confession : le gaillard mangeait le morceau.

En son langage de paysan, tantôt gouailleur, tantôt pleurard, il raconta une scène que nous avons déjà décrite… Domestique à Rennes, Jourdeuil y servait de brosseur à un officier de la garnison, le citoyen François Bertrand. Ce Bertrand, aujourd’hui sous-lieutenant à la 82e demi-brigade, avait longtemps été le vaguemestre de l’armée de l’Ouest. Un raté, un mécontent, un clabaudeur ! Certain jour de floréal, il avait envoyé son ordonnance chez un bourgeois de la ville, nommé Chausse-blanche, pour en recevoir une liasse d’imprimés… Les libelles !… Le brosseur, en fouillant dans les poches de son maître, avait dérobé l’un des placards : « Ah ! citoyen préfet, à cette lecture, je frissonnai d’horreur ! J’ai gardé néanmoins le pamphlet ; mais pour le livrer au gouvernement. » Puis, le dolent Jean-Pierre s’apitoyait sur soi-même… Malheureux garçon ! lui si dévoué au Grand Consul, comme il avait souffert ! Durant toute une décade, son lieutenant l’avait contraint de porter aux diligences des paniers, des ballots bourrés de toute espèce d’infamies ! Chaque fois, on l’obligeait à changer de nom : le Morland, le Thomas, la demoiselle Leblanc, — c’était lui, hélas ! lui, infortuné Jourdeuil ! Il protestait pourtant de son innocence : seul, l’officier vaguemestre était coupable ! Seul ? Non pas ; un autre conspirait, plus criminel encore, — un quidam inconnu qui se cachait à la campagne. Celui-là dirigeait le complot. Bertrand le fréquentait ; souvent il lui rendait visite ; même, il avait disparu de Rennes, pendant plusieurs jours. Quel nom portait le personnage ? Où se « muchait-il ? » Jourdeuil l’ignorait. Mais cet homme devait être un militaire, un grand chef, une épaulette à grosso torsade, une graine d’épinards ! Oui, certes ; peut-être bien un général, car il employait pour ses manigances des sapeurs et des charretiers de la République ! « Voilà, citoyen préfet,