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l’Anacréon de la police se montra d’une discrétion parfaite. Il savait, notamment, par le registre des Messageries, que la gresle, inscrite au départ « effets et linge, » ne pesait en tout que trois livres. À ce compte, chacun des six pots de grès aurait eu la légèreté d’une fiole d’apothicaire. Mais le galant Piis n’abusa pas de ses avantages ; M. le chevalier n’était pas homme à faire pleurer une belle, — et Mlle *** parapha et signa… Or, le soir dudit jour, le commissaire Comminges lui raflait son amant pour l’envoyer au Temple. A défaut de François, on enfermait Auguste : péripétie, monsieur de Piis, et situation !

Alors, commença une série de répugnantes pratiques. La police remit à Mlle *** un permis de pénétrer au Temple, pour y voir librement son « ami. » C’était l’habituel procédé, l’amorce coutumière : on obligeait une maîtresse à soutirer, pour les trahir, les confidences de son galant. Affolée de terreur, Félicie *** se prêta sans résistance à cet ignoble jeu : Dubois abusait sans vergogne d’un désespoir de femme. Elle remit en outre au préfet toute une correspondance des Rapatel : la malheureuse l’avait été chercher elle-même dans la maison meublée de la rue de la Michodière. Ces lettres personnelles et intimes n’étaient relatives qu’à la jeune femme, à sa liaison, à ses tristesses, aux espérances de son mariage ; mais le douloureux mystère de famille fut versé sans scrupule dans les cartons de la police : on peut l’y voir encore… Au surplus, tant de gredineries ne produisaient aucun résultat. Jamais la délatrice n’avait fréquenté chez Moreau ; ses racontages n’apprenaient rien d’intéressant, et, rentré en soi-même, le prisonnier du Temple ne parlait plus. Dubois, dans sa poursuite, ne trouvait donc que buisson creux, et sa vanité s’enrageait, — quand tout d’un coup il crut apercevoir une autre piste à suivre.

La police possédait à présent les noms de maints distributeurs de libelles ; mais un seul de ces inconnus, Jourdeuil, retenait l’attention des limiers en quête. Il venait d’expédier à Paris un autre envoi suspect, une caisse adressée à la demoiselle Duret, femme de chambre, au quartier de l’Oratoire. On arrêta cette fille, — même, avec elle, quelques douzaines d’autres Duret, — et, sous la menace des Madelonnettes, la chambrière dégoisa ce qu’elle savait : « Jourdeuil ?… Un bon jeune homme de son département, un brave garçon de la Haute-Marne ! Il était domestique à Rennes, brosseur d’un officier. Mais Jean-Pierre allait