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vous avez vu périra vos côtés plus d’un million de camarades… SOLDATS, vous n’avez plus de PATRIE : la République n’existe plus !…

Un TYRAN s’est emparé du pouvoir, et ce tyran, quel est-il ? BONAPARTE.

Lâche défenseur de nos drapeaux, infâme assassin de nos compagnons, tous les crimes lui sont familiers ! Consultez vos frères d’Egypte, ils vous diront à quels maux horribles il les a exposés en les abandonnant ; ils vous diront que sa main meurtrière a dirigé le poignard qui leur a enlevé Kléber, le chef le plus vertueux et le plus digne de les commander ; ils vous diront enfin que, tyran farouche, craignant que ses crimes ne soient dévoilés, il a fait circuler le poison jusque dans les veines de ceux que le fer de l’ennemi avait mis hors de combat…

Quel était notre but en combattant pour la République ? Anéantir toute caste noble ou religieuse, établir l’égalité la plus parfaite… Notre ouvrage ne subsiste plus ! Les émigrés sont rentrés de toutes parts ; les prêtres hypocrites sont salariés par le tyran. C’est en vain que vous avez vaincu !… Attendrez-vous que ceux qui ont partagé vos fatigues et votre gloire, qui vous ont constamment conduits dans le chemin de l’honneur, vivent décimés, chassés, exilés, déportés et plongés dans la misère, pour ouvrir les yeux ?… Attendrez-vous que des prêtres fanatiques aient porté la superstition, la déroute et l’épouvante dans le sein de vos familles, qu’ils aient aliéné contre vous l’esprit de vos parens et vous aient dépouillés de vos héritages ?… SOLDATS, vous n’avez pas un moment à perdre, si vous voulez conserver votre liberté, votre existence et votre honneur.

Et vous, OFFICIERS GÉNÉRAUX, qui vous êtes couverts de lauriers, qu’est devenue votre énergie ? Que sont devenus ces élans sublimes de patriotisme qui vous ont fait braver tant de dangers ? Êtes-vous devenus les amis du tyran ? Non, nous n’osons le croire… Pourquoi donc souffrez-vous que votre ouvrage soit détruit, que vos enfans soient proscrits, et que vos ennemis triomphent ? Le repos, les richesses, les rivalités ont-ils anéanti votre courage ? Grands dieux, serait-il possible que ceux qui ont fait de si grandes choses pour conquérir la liberté fussent devenus assez lâches pour croupir dans l’esclavage ?… Est-il besoin, pour ranimer vos forces et votre énergie, de retracer les maux auxquels votre faiblesse nous expose ?… Déjà plusieurs d’entre nous ont été proscrits, exilés, pour avoir osé élever la voix. Eh bien, le même sort nous menace, tôt ou tard ! Si l’on nous ménage encore, c’est qu’on nous craint ; mais nos dangers sont les mêmes, vous êtes tous proscrits. Si vous tardez plus longtemps, la honte et l’infamie seront votre partage ; vos noms ne rappelleront plus ces époques glorieuses de nos triomphes ; on ne les prodiguera plus qu’aux LACHES et aux ESCLAVES !


Pas de signature : la philippique était anonyme… Virulence de l’invective, atrocité dans la calomnie, éloquence même, rien ne manquait à cette œuvre de forcené. Bien que déclamatoire, la forme en était littéraire, annonçait un lecteur assidu de Rous seau, dénotait aussi une main experte à tenir la plume… Mais le furieux libelle était encore dépassé en violence par un autre