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raisonnement, et la police de Fouché recrutait parmi eux bien des « observateurs »… Le jacobin était un militaire, capitaine à la 79e demi-brigade, mais, depuis peu, mis en réforme : le citoyen Maffran. Un malin, aussi, bien que d’une autre malice. Se posant en victime de Bonaparte, ce personnage fréquentait les officiers de la garnison, écoutait leurs propos, les rapportait à son ami Routhier. Certes, les clabaudeurs de la 82e auraient fait sagement de se méfier d’un tel martyr.

Mounier avait mal accueilli les deux espions. Idéologue et moraliste, il professait, comme ses pareils, un imprudent dédain pour les choses de la police ; son cœur de philosophe croyait à la Vertu… En ce moment, la question religieuse l’absorbait tout entier. Très gallican, teinté même de jansénisme, il prévoyait une lutte prochaine avec son évêque, M. de Maillé-La Tour-Landry. Le citoyen-évêque de Rennes — un ci-devant, de haut parage, longtemps persécuté sous la Révolution, — prétendait sévir à son tour ; il commençait à tracasser les prêtres-jureurs ; le Constituant les défendait, et le conflit allait tourner à la querelle… Une bataille livrée à la mitre n’était point pour déplaire à ce franc-robin de Mounier. Déjà même, il se préparait au combat, quand tout à coup son attention dut se reporter sur une affaire urgente : on conspirait dans son département !


Dans la matinée du 31 mai (Desmarets, à cette heure, rédigeait encore sa dépêche), le général Delaborde était venu rendre visite à son préfet. D’ordinaire ils se fréquentaient peu, et les deux hommes ressentaient l’un pour l’autre une assez vive antipathie. Le commandant de la 13e division, l’ancien porte-sabots, volontaire de la Côte-d’Or, se montrait déplaisant avec un pékin d’avocat, un fuyard d’émigré ; mais son cœur, ce jour-là, battait la chamade. Il apportait à Mounier une liasse de pamphlets séditieux, diatribes dirigées contre le Premier Consul.

Expédiés de Rennes, — « envoi du citoyen Thomas, » — ces libelles y étaient retournés, après un long circuit. Quatre jours auparavant, le colonel Gauthier, chef de la 38e demi-brigade, à Vannes, avait reçu un panier contenant des placards et une centaine de lettres. Plusieurs adresses de ces missives dénotaient chez l’envoyeur une impudente effronterie ; deux libelles, notamment, étaient destinés à Berthier, ministre de la Guerre : ce Thomas s’égayait… Et toujours l’invariable formule :