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Les neuf lettres rouges et bleues, glissées dans les boîtes par Rapatel, furent donc aisément découvertes. Le poids et les couleurs voyantes de leurs enveloppes les dénonçaient à première vue. Elles ne contenaient que des placards : une déception. Lavalette déposa la saisie entre les mains de son ami Dubois, et, nanti de ce butin, l’heureux préfet s’en retourna à son hôtel. L’un et l’autre se sentaient contents d’avoir mis en défaut l’incessante et furtive surveillance de Fouché…

Or, quelques heures plus tard, dans la matinée du 29 mai, on annonçait au Commissaire central une déplaisante visite. Un très haut employé du ministère de la Police demandait impérieusement à lui parler : affaire urgente ! L’homme au verbe cassant était le citoyen René Patrice de la Fuye, chef du « Bureau particulier, » l’alter ego de Desmarets, et fort gros personnage dans la maison de la rue des Saints-Pères. Lavalette le reçut aussitôt… Patrice lui apportait un billet de Fouché. Déjà, le ministre avait connaissance de l’opération clandestine, et réclamait les lettres interceptées. Même il savait, l’habile homme, qu’elles recelaient des placards séditieux.


XII. — FOUCHÉ INQUIET

Qui donc avait si bien avisé leur ennemi ? Sans aucun doute, l’un de ces discrets, fidèles et dévoués serviteurs en qui Lavalette plaçait une entière confiance. Desmarets et Patrice entretenaient maints « observateurs » parmi les employés des postes, et beaucoup de ces messieurs émargeaient aux fonds secrets. Au demeurant, ils n’étaient point seuls à faire ainsi de l’espionnage. Les administrations publiques regorgeaient toutes d’ « informateurs » variés ; les ministres ne l’ignoraient, et redoutaient toujours quelque trahison.

A la vive surprise de son ministre, Patrice ne rapporta qu’une sèche et laconique réponse du Commissaire central :… « Les lettres saisies ont été remises au préfet de police… » Qu’était cela ?… Lavalette et Dubois avaient-ils obéi à des instructions spéciales ?… Se méfiait-on de lui ?… Quelle était cette nouvelle et importante affaire qu’il ne soupçonnait pas ?… Et, durant deux jours, Fouché s’intrigua, ennuyé. A la Malmaison, il ne recevait que des rebuffades. Bonaparte se montrait injurieux, lui reprochait de la négligence, parlait même de forfaiture ; mais il