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Deux heures plus tard, Dubois et Lavalette se mettaient au travail, dans la Maison des Postes.


Le courrier de Rennes ne partait que le lendemain matin ; mais le triage des lettres, exécuté d’abord dans les huit bureaux parisiens, devait être déjà terminé. Un nouvel examen de cette correspondance n’exigeait, cependant, un labeur long ni difficile : on écrivait si peu à cette époque. Du reste, une équipe d’habiles commis, dirigés par le citoyen Courcelle, se tenait en permanence à l’Hôtel contral. Experts à palper les enveloppes, ces messieurs possédaient à merveille la science délicate du décachetage et du rescellement. Parfois même, en cas d’erreur, ils s’épargnaient la peine de refermer l’épître suspectée, et l’expédiaient impudemment ouverte… Ce n’était point, toutefois, à la Maison des Postes que fonctionnait le redoutable et légendaire « Cabinet noir, » l’ancienne « commission inspectante » où s’était mis en verve Rétif de la Bretonne. Les employés de la « section des lettres » n’opéraient qu’au ministère de la Police, dans le « Bureau particulier, » sous l’œil de leur chef Desmarets, — mais Lavalette s’en faisait l’habituel fournisseur. A certains jours, il envoyait, rue des Saints-Pères, tout un courrier, et trop souvent papiers de négoce, confidences familiales, billets musqués d’amante étaient lus, scrutés, commentés par les maroufles de la police. Fouché, fort amoureux en ces jours-là de la blonde Custine, avait ainsi décacheté les poulets doux de sa chère Louise, et surpris en jaloux les galanteries de la perfide avec ce vaniteux Chateaubriand… Au ministère seulement, on pouvait travailler à loisir, prendre avec art l’empreinte d’un cachet, déchiffrer l’écriture sympathique, interpréter les noms de guerre, les mots de convention, deviner que « Gédéon » ou bien « Papa » voulait dire Georges Cadoudal ; « Balle de Coton, » fusil ; « Grande combinaison, » assassinat. Les Patrice, les Devilliers du Terrage, les Deseigne et autres farfouilleurs de secrets, ne besognaient qu’avec Fouché ; mais fréquemment ils exhibaient chez Lavalette leurs mines fureteuses et leurs sourires cafards. Ils rapportaient quelque lettre saisie, pour qu’on la pût timbrer, à date récente, et pratiquer un « amorçage. » D’ordinaire, il est vrai, la pièce accusatrice restait enfouie dans les réserves des mystérieux dossiers… Tout pela était monstrueux, et tout cela, ignoble !