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L’heure pressait, le moment du travail quotidien avec le maître. Emportant les diatribes, Dubois se hâta de monter en voiture et gagna le château de la Malmaison.


XI. — A LA MALMAISON

Depuis environ deux semaines, le Premier Consul résidait à la Malmaison. Délaissant le palais des Tuileries, il était venu se recueillir dans ce bourgeois et bizarre ménil, où son âme, toujours en tourmente, trouvait parfois un peu de silence et de repos.

Napoléon Bonaparte traversait alors une des époques les plus agitées de sa courte vie d’agitation : il s’apprêtait à franchir la dernière étape qui le séparait d’un trône impérial. La question du Consulat à vie était posée à la nation française, le peuple allait se réunir dans ses comices ; des affiches convoquaient déjà les électeurs, et les registres de vote sollicitaient leurs suffrages. Tout était donc excitation dans les cent-deux départemens de la République continentale, tout y était aussi engouement pour le Grand Consul, enthousiasme de sa dictature. Lui, cependant, affectait l’indifférence, et rien ne semblait changé à ses habitudes quotidiennes. Travailleur opiniâtre, il recevait, comme à l’ordinaire, ses ministres, écoutait leurs rapports, les discutait, les annotait, — absorbant en lui seul le gouvernement tout entier. Il continuait à être la pensée, l’action, la vie même de cette France, éprise et de gloire et de paix, qui s’abandonnait affolée à son soldat pacificateur… Mais d’incessantes visites troublaient, à chaque instant, l’hypocrite recueillement de sa retraite. Ce n’était qu’un défilé sans fin de sénateurs, de conseillers d’Etat, de tribuns, de législateurs, de hauts fonctionnaires, accourus de Paris pour apporter des nouvelles. Elles étaient excellentes. « L’homme devant qui se taisait la terre, » — ainsi l’avait exalté Portalis, — allait remporter la plus éclatante de ses victoires : « le triomphe décerné par l’amour et la reconnaissance… » Et Bonaparte, très maître de soi-même, écoutait négligemment ces rumeurs lointaines, — pareil à un philosophe que les honneurs importunent, mais qui veut bien se résoudre à subir sa destinée… Jamais cette ambition surhumaine n’avait encore joué plus amusante comédie de désintéressement.

Joséphine Bonaparte affectionnait beaucoup l’ombreuse