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Elle a d’autres audaces encore, et la discussion de l’interpellation sur la grève générale en a apporté la preuve. Ayant parlé très longuement, il y a quinze jours, de la grève générale, nous serons plus brefs aujourd’hui : au surplus, la situation ne s’est pas encore modifiée d’une manière bien appréciable. Mais elle est sérieuse et grave, et il est à craindre que l’intervention de la Chambre ne l’ait pas améliorée. La discussion a présenté peu d’intérêt en elle-même. On connaît M. Basly et M. Jaurès ; on savait ce qu’ils diraient, ou plutôt ils l’avaient dit d’avance ; leurs discours ne pouvaient causer aucune surprise. Ils sont d’ailleurs trop passionnément ministériels pour ne pas éviter, avant tout, de mettre le gouvernement dans l’embarras. Un nouvel orateur socialiste a fait ses débuts à la tribune : c’est M. Aristide Briand. Il était arrivé à la Chambre avec une grande réputation d’éloquence, qu’il s’était faite dans les Comités et les Congrès socialistes. Ses amis l’ont fort applaudi. La thèse qu’il a soutenue n’a rien d’original : il a répété, après tant d’autres, que la responsabilité de tous les désordres, quelquefois sanglans, qui se produisent dans les grèves, appartient à la troupe. On voit bien, en effet, que, s’il n’y avait pas de troupes, il ne pourrait pas y avoir de conflits. Au surplus » M. Briand ne met pas en doute que, si on laissait les ouvriers faire eux-mêmes leur police, le sentiment de la responsabilité qui s’emparerait d’eux en ferait d’excellens défenseurs de l’ordre. Les échos de son beau discours étaient à peine assoupis au Palais-Bourbon, qu’on y apprenait les déplorables événemens de Dunkerque. C’est le jour même où M. Combes devait répondre aux interpellations que la nouvelle en est arrivée : il en a été visiblement gêné.

Nous devons dire, pour ne rien exagérer nous-même, que les incidens de Dunkerque ont eu un caractère local, et que, jusqu’ici du moins, la grève n’est pas sortie de la période de calme qui en caractérise presque toujours le début. Tant mieux si cela dure. Mais, à Dunkerque, les choses ne se sont pas passées d’une manière aussi pacifique. Il y a là une population ouvrière qui se laisse facilement exciter, et devient aussitôt capable de tous les excès. Les déchargeurs du port ont refusé un jour de travailler. On a cru d’abord qu’ils entendaient faire cause commune avec leurs camarades embrigadés dans la grève générale, et que c’était pour ce motif qu’ils ne voulaient pas se prêter au déchargement du charbon étranger. On n’a pas tardé à s’apercevoir qu’ils ne songeaient qu’à eux et se souciaient médiocrement des autres grévistes. De même qu’ils avaient un but personnel, ils avaient aussi des procédés particuliers pour l’atteindre. Ces pro-