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dominicains par exemple, elles sont vouées à la proscription. Ce sera un véritable massacre. Cette grande œuvre une fois terminée, le gouvernement se déclarera, avec plus de conviction encore qu’aujourd’hui, partisan résolu de la liberté de l’enseignement. Toutefois il aura affaire à quelques-uns de ses amis, partisans tout comme lui de cette liberté et qui pour rien au monde ne permettraient à personne d’en douter, mais qui croient devoir en interdire l’exercice aux prêtres séculiers, comme aux réguliers, et même à tous les laïques qui, dans leur plus tendre enfance, ont eu le malheur de recevoir les leçons des uns ou des autres. À ce compte, il y a dans le gouvernement même plus d’un de ces suspects qui sont indignes d’enseigner ! On croit peut-être que nous exagérons, mais il n’en est rien. M. Brisson a déposé une proposition de loi dans le sens que nous venons d’indiquer. Il est allé encore plus loin, et, prévoyant une objection qu’on pourrait lui faire, à savoir qu’il y a des laïques qui, pour n’être jamais passés par des mains ecclésiastiques, n’en sont pas moins imbus des plus mauvais principes, il impose à tous ceux qui veulent enseigner, quelle que soit leur origine et de quelques titres universitaires qu’ils soient détenteurs, l’obligation d’obtenir du gouvernement une autorisation personnelle toujours révocable. Après cela, il faut sans doute tirer l’échelle ; on ne pourra pas faire mieux. La loi du 1er juillet 1901 est une pauvre loi, et la voilà terriblement dépassée ! Peut-être la Chambre ne se laissera-t-elle pas conduire, au moins dès maintenant, aussi loin que le voudrait M. Brisson : mais qui pourrait répondre de l’avenir ? Tant de choses s’accomplissent qui naguère encore étaient jugées impossibles, que rien ne semble plus l’être. La loi sur les associations n’a que quinze mois d’existence, et elle a déjà produit des conséquences contre lesquelles ses auteurs avaient protesté. La protestation est tombée ; les auteurs de la loi se sont effacés et prudemment remisés eux-mêmes ; et nous voyons se reproduire une fois de plus le triste spectacle, si fréquent dans notre histoire et dans toutes les histoires, de gens qui, en faisant le mal, avaient cru pouvoir le limiter, et qui ont donné seulement à leurs successeurs le goût et le moyen d’aller plus vite et plus loin qu’eux. Le chemin parcouru depuis quelques mois est immense. Si nous continuons à marcher de ce pas, où en serons-nous bientôt ?

Dans cette situation, l’épiscopat français s’est ému. Les archevêques et les évêques, au nombre de 72, ce qui est l’unanimité morale de nos prélats, ont adressé aux députés et aux sénateurs une lettre conçue dans les termes les plus fermes et les plus dignes, mais aussi