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assurément, peut-être rien que de l’esprit. Plus tard, chez Beethoven, surtout chez le Beethoven de la première manière, il se peut que vous rencontriez un motif analogue. Mais cette idée, dont la grâce, dont l’enjouement extérieur suffisait à Haydn, Beethoven aussitôt la développe et la creuse ; il assombrit le regard, il éteint le sourire, et fait en quelque manière dévier l’esprit du côté de la passion et de la douleur.

Et pourtant Beethoven lui-même a parfois de l’esprit : un esprit qui consiste en une sorte d’humour fantasque, rude, presque farouche. Dans sa vie et dans son œuvre, on en trouve plus d’un éclat. À je ne sais quel riche et sot personnage qui avait fait suivre son nom de ce titre : Gutbesitzer (possesseur d’un domaine), Beethoven répondit en ajoutant à sa propre signature : Hirnbesitzer (possesseur d’un cerveau). Dans son remarquable ouvrage sur les neuf symphonies, Grove a raconté l’histoire de Beethoven arrivant pour souper chez des amis un soir d’orage et secouant sur les convives à table son grand chapeau ruisselant de pluie. C’est ainsi qu’il badinait. Et son génie parfois a de ces gaîtés. Le trio de la Symphonie pastorale, d’une si puissante et si rustique trivialité ; celui de l’ut mineur, où gambadent les contrebasses ; le finale de la symphonie en la, « où le rythme célèbre ses orgies ; » celui de la huitième symphonie, plein d’à-coups, de horions et de bourrades, tout cela ressemble aux ébats de quelque géant en belle humeur. Oui, mais au fond en humeur sombre aussi. Il arrive souvent que l’esprit de ‘Beethoven est pour ainsi dire à base de mélancolie, même de colère. C’est que le maître alors voit son génie et sa misère, son âme et son destin ; et, sentant la tragique ironie du contraste, avec amertume et presque avec des sanglots, il en rit.

Enfin, il est un homme, un jeune homme, et presque divin, sur l’œuvre de qui l’esprit flotte comme un sourire. Avant même que je le nomme, vous avez reconnu Mozart. L’idéal de Mozart a ceci de particulier, je dirai même d’unique, qu’il est mêlé d’esprit et de sensibilité, et je n’en sais pas un autre où ce mélange ait un parfum plus exquis, un goût plus délicieux.

En paroles, ou du moins par correspondance, il ne semble pas que Mozart ait été fort spirituel. Un jour, il s’avise d’écrire à rebours. D’autres fois, il s’amuse à des jeux de mots, à des allitérations dont le comique nous laisse calmes. Voici, par exemple, le début d’un billet à l’une de ses cousines : « Chère petite cousine,