Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de rappeler le motif célèbre dont il avait fait l’expression ou le symbole de la calomnie elle-même ? L’allusion, ou la plaisanterie musicale, serait d’assez mauvaise grâce. Je croirais plus volontiers qu’il n’y a là qu’une rencontre fortuite. Elle trahit du moins, par un signe involontaire, mais authentique, ce que nous appelions tout à l’heure une certaine manière, — plutôt gaie, — de prendre les choses, la vie, et, au besoin, la mort. S’il vous plaît de sentir ce que cette manière a de plus large, de plus copieux chez un Rossini que chez un Auber, écoutez le grand finale du Barbier de Séville, ce chœur à l’unisson, roulant comme un tonnerre, où la maréchaussée apporte soudain son concours aussi puissant qu’inattendu. Vous aurez alors l’impression que l’esprit s’étend, s’accroît à Tin fini, et que ce n’est plus seulement le cas où l’aventure de quelques personnages, mais l’humanité même et le monde entier, qui devient un objet de rire et de moquerie.

Rossini, d’ailleurs, a traité son génie comme son génie traitait le plus souvent les êtres et les choses : en riant. C’est en riant qu’il le suivait ; un jour, en riant encore, il prit congé de lui pour jamais. Parmi les grands artistes, il y en a qui sont au-dessous de leur œuvre ; d’autres, au contraire, la dominent. Et cette domination peut être de deux sortes : l’une, de beaucoup la plus noble, s’exerce par le cœur, par un amour du beau que rien n’assouvit ni ne rebute ; l’autre consiste dans le scepticisme, l’ironie et le dédain. C’est la manière la plus spirituelle ; et ce fut celle de Rossini.

Spirituelle aussi, mais avec plus de bonhomie et de cordialité, fut la manière de Haydn. « La gaîté, l’hilarité naturelle, a très bien dit Stendhal, ne permirent jamais à une certaine tristesse tendre d’approcher de cette âme heureuse et calme. » Le « père de la symphonie, » comme on l’appelle quelquefois, engendra dans la joie cette fille charmante. Aucune musique ne trahit comme celle de Haydn, et par des chefs-d’œuvre plus aimables, un parti pris de bienveillance, d’humeur accommodante et légère. Dites par Haydn, les choses les plus simples deviennent exquises, ou plutôt il semble toujours, à l’entendre, qu’il n’y ait au monde, dans l’ordre de la pensée comme du sentiment, que des choses simples, unies entre elles par d’ingénieux et faciles rapports. Prenez un thème au hasard dans une sonate ou dans une symphonie de Haydn. Vous y trouverez de l’esprit