Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les notes innombrables remplissent et peuplent aussitôt Chaque figure est dessinée, modelée par les sons. S’agit-il de la piccina (la petite), la voix s’abaisse et se réduit ; vient-elle à célébrer « la jeune commençante (la giovine principiante) » c’est d’un ton mystérieux et comme à huis clos. Jusqu’à la fin de l’air, toutes les grâces, toutes les beautés de la femme passent ainsi devant nous, raillées, profanées par la verve cynique d’un valet. Et quand nous aurons noté le dernier trait, l’allusion personnelle et libertine : Voi… sapete… quel… che fa ; « Vous savez… comme… il s’y prend »(et cette traduction n’est pas littérale), alors nous constaterons une fois de plus : d’abord qu’il existe des allusions musicales ; que la musique, en outre, peut avoir ses réticences ou ses retards non moins spirituels que sa précipitation ; qu’elle sait enfin, par les moyens qui lui sont propres, amplifier le comique d’un caractère et donner plus de grandeur et de force à l’esprit.

Autant que Leporello, don Basile en témoigne. Rossini d’abord a fait de Basile une basse profonde, et si, comme on n’en peut douter, cela seul assombrit, élargit encore le personnage, c’est donc que le surcroît d’expression et d’esprit consiste ici dans le timbre, c’est-à-dire dans un élément de pure sonorité. Mais il faut ajouter autre chose : entre toutes les pages spirituelles du Barbier de Séville, l’air de la Calomnie est peut-être celle où l’esprit musical va le plus loin et pénètre le plus avant. La musique sans doute n’est d’abord que mouvement et verve dans le crescendo, — formidable d’ailleurs, — que comporte et même commande le début de la fameuse tirade. On sait avec quel art est préparée l’explosion, avec quelle violence elle se produit.


Come un colpo di canone,
Un tremoto, un temporale,
Un tremoto générale
Che fa l’aria ribombar !


La musique arrive, — sur ces paroles, — au paroxysme de la sonorité. Mais viennent les paroles suivantes, qui décrivent non plus la marche ni le progrès, mais l’effet de la calomnie, à quoi tombe et se réduit ce grand fracas ? A quelques maigres, misérables notes, admirablement expressives par cette misère et cette maigreur même. Il meschino calunniato ! Syllabe par syllabe, la voix lugubre et presque sépulcrale détache, distille