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entre la faiblesse ou la lâcheté masculine et sénile, et « la ruse de femme ; » c’est la première confrontation de ces deux types éternels : le vieillard amoureux et la jeune coquette. La musique de Pergolèse a traité le sujet avec autant, sinon plus d’ironie, d’amertume, d’âpreté même, que ne l’avait fait la poésie de Molière dans l’École des Femmes ou que ne devait le faire, dans le Barbier de Séville, la prose de Beaumarchais.

Qui ne voit également tout ce que la musique de Mozart, après avoir transformé, transfiguré même certains personnages de la Folle journée, ajoute encore à tel ou tel caractère de Don Juan ? « Monsieur, dit au séducteur la Charlotte de Molière, tout ça est trop bien dit pour moi et je n’ai pas d’esprit pour vous répondre. » Que d’esprit, au contraire, a Zerline, répondant soit à Don Juan, soit à Mazetto. Dans le duetto, La ci darem, avec Don Juan, à la fin de l’andante et sur ces mots répétés : Ah ! non mi sento forte ! rappelez-vous la dégradation, le glissement de la voix qui refuse et promet tout ensemble, et ce frôlement chromatique des notes, cette restriction des intervalles, aussi spirituelle que peut l’être en d’autres cas, et pour dire autre chose, leur étendue ou leur écart.

L’air célèbre : Batti, batti, bel Mazetto ! est encore un chef-d’œuvre d’esprit féminin, de soumission feinte et de souriante malice. L’héroïne de Mozart triomphe ici comme celle de Pergolèse, mais avec des grâces assouplies et détendues. Le rythme, autant que la mélodie, a perdu sa rigueur primitive. Il plaît à Zerline d’être battue ; elle le déclare du moins, certaine qu’elle ne le sera pas. Et de quel regard elle détourne les coups ! Comme l’œillade monte, furtive et câline, avec la voix ! Comme cette voix se fait humble et petite, mais, sous cette humilité, quelle assurance se cache, et quel défi, que la faiblesse de l’homme, cette fois non plus, ne relèvera pas ! La seconde reprise de l’air en est pour ainsi dire une variante musicale et morale en même temps. L’accompagnement continu du violoncelle donne à l’arabesque sonore une prenante et presque mordante douceur, et, portée par ce flot léger, la coquette mélodie glisse, coule, fuit, pareille à la nymphe de Virgile, qui souhaitait d’être vue, et même poursuivie.

L’esprit, qui n’est que de finesse dans le rôle de Zerline, atteint à la puissance en certains passages du rôle de Leporello : « Un mariage ne lui coûte rien à contracter, il ne se sert point