Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous assistons au relèvement du Standard of life des prolétaires, et à une incontestable amélioration dans la condition des classes laborieuses.

Même le capital accumulé n’est pas toujours funeste en soi. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Dans le roman de George Eliot, le vieux Silas Marner, en tissant sans relâche, amasse, pièce par pièce, un petit trésor qu’il cache sous terre, sans en retirer aucun avantage, aucune jouissance. Quand, un jour, on lui vole son or, c’est comme s’il ne l’avait jamais épargné, et son travail acharné est perdu. Le capital n’a de signification, de force et de puissance que s’il est employé : il y a d’abord les dépenses productives ; elles sont de deux natures. Le capital remployé fonde et soutient les entreprises publiques ou privées ; il est placé en valeurs d’États ou de villes, ou de sociétés ; il donne l’existence aux œuvres charitables, scientifiques, artistiques il contribue à la vie nationale, il est un facteur d’activité et de progrès.

Il a un autre rôle nécessaire : il alimente et développe l’industrie d’où il sort ; les inventions et les procédés mis en œuvre suscitent constamment d’autres procédés et d’autres inventions ; les perfectionnemens réalisés amènent des perfectionnemens nouveaux. Jamais il n’y a d’arrêt dans la technique ; jamais il ne peut y avoir d’arrêt dans la dépense ; la prolifération du capital trouve sa raison d’être dans la prolifération des entreprises. Le chef d’industrie qui piétine sur place est distancé et succombe.

A côté de cela, il y a les dépenses improductives, les gaspillages du jeu, de la spéculation, de la débauche, le luxe superflu ? c’est l’emploi abusif et nuisible de la plus-value ; il est dû non-au capital, mais à l’exacerbation du désir, à la frénésie des jouissances vulgaires, au mobile frivole et bas de l’ostentation

A New-York, les « Quatre-Cents, » poussés par la vanité, luttent de prodigalités excentriques. Aucun ouvrier ne se donne pour élever sa famille autant de peine que ces milliardaires pour éclipser leurs concitoyens et pour acquérir à la sueur de leur front une notoriété de mauvais aloi.

De tels excès individuels se retrouvent dans la nature. La forêt aussi, dans l’ivresse de ses frondaisons éclatantes, est insoucieuse de l’épargne, elle laisse flotter inutilement et se perdre à jamais des tourbillons de germes féconds ; et pourtant elle reste revêtue de splendeur austère.