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travail mental ; il représente une idée directrice. Le chef de métier au XIVe siècle produisait pour la commune. Le chef d’industrie au XXe siècle produit pour le monde habité, et le capital engagé dans une entreprise mondiale a besoin d’un salaire autre que le salaire du travail musculaire ; il a besoin d’un salaire de direction intellectuelle, d’un profit proportionné aux risques courus, aux peines occasionnées, aux études nécessaires, à la science dépensée. Et, je l’ai dit plus haut, il est indifférent que le directeur de l’affaire soit le capitaliste qui l’a fondée ou un tiers à qui le capitaliste délègue le soin de diriger. Dans tous les cas, celui qui dirige doit avoir des capacités spéciales ; c’est toujours le capital qui les paie et si le capital n’assurait pas au talent du chef un traitement élevé équivalent à ses aptitudes, s’il ne faisait pas une situation privilégiée aux ingénieurs, aux savans, aux gérans, aux comptables, aux contremaîtres, aux supérieurs, qui donc les recruterait ?

Les collectivistes disent : « Nous aussi, nous saurons payer l’idée, la science, les fonctions de direction, d’organisation. » Alors où est le progrès ? Ou bien il n’y aura aucun avantage à acquérir des connaissances particulières, une supériorité quelconque, et les supériorités disparaîtraient ou seraient sacrifiées ; ou bien le collectivisme ne pourrait se passer d’un mode de rémunération privilégiée du talent, et il sacrifierait son idéal, l’égalité. Dès le début, nous trouvons, parmi les facteurs de la valeur produite, un élément négligé par Marx : le talent de direction, la supériorité.

Cette lacune apparaît encore d’une façon plus frappante si nous suivons Marx quand il veut préciser son analyse de la formation de la plus-value. Il montre le capital d’une entreprise divisé en deux parties : l’une est employée à payer les moyens de production, l’outillage, les matières premières, qui se transforment sans augmenter de valeur ; Marx l’appelle le capital constant L’autre est employée à payer la force de travail, qui se transforme en profit ; Marx l’appelle le capital variable.

D’après Marx le capital constant ne produit pas de plus-value ; seul, le capital variable en produit, puisque c’est sur l’exploitation du travailleur et sur le prolongement des heures de travail que l’entrepreneur compte pour réaliser son bénéfice.

Or, on ne peut soutenir sérieusement que l’outillage soit du capital constant et n’augmente pas le profit de l’entreprise. De